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"I AM", l'horreur de la guerre dans la cour d’honneur du palais des Papes

Entre tradition et modernité, le grand chorégraphe Néo-Zélandais Lemi Ponifasio prend la suite de Giorgio Barberio Corsetti dans la Cour d’honneur du palais des Papes, pour une création mystique et terriblement humaine. Rencontre.

Sur le programme du Festival d’Avignon, "I AM" est présenté comme l’hommage rendu par un chorégraphe, "originaire des îles Samoa", "aux vingt millions d’êtres humains morts pendant la Première Guerre mondiale".   Mais sur scène, mieux vaut ne chercher ni l’une ni l’autre de ces composantes.

Si cela ne tenait qu’à lui, il est évident que Lemi Ponifasio aurait préféré qu’on ne pose pas de mots sur son œuvre. Les îles Samoa ? Le chorégraphe y a "atterri", comme par hasard. Autrement dit, malgré les danses traditionnelles et les incantations mystiques, gare à celui qui tentera de réduire le spectacle aux origines de son metteur en scène ! Son objet d’étude n’est autre que l’Homme, et ce n’est pas sans un certain agacement qu’il précise que "personne ne demanderait à Bob Wilson si ses œuvres sont imprégnées de culture texane".

Comme si ce n’était pas assez clair, Lemi Ponifasio a d’ailleurs choisi d’ancrer son spectacle dans la modernité de l’épure, et de confier l’interprétation des rôles à sept amateurs issus des quartiers d’Avignon. Aux côtés de Nadjette Boughalem, au centre social La Maison Pour Tous Champfleury, aucun d’eux n’a jamais foulé le sable fin des plages de Polynésie. Oubliez donc les références culturelles : "Elles ne sont qu’une différence superficielle qui nous donne de l’intérêt cinq minutes, mais qui ne sont que sources de confusion".

Un spectacle "à cause de la guerre »

Il en va de même pour la Première Guerre mondiale. À l’exception du costume de scène d’un des personnages, aucun élément esthétique ne permet de réduire la pièce à ce sujet. En "artiste global et conscient", Lemi Ponifasio profite plutôt du centenaire de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand pour réfléchir plus largement sur la question de savoir "ce que la guerre veut dire". À force d’incantations et de danses telluriques, le chorégraphe rappelle les déchirures, et parvient à faire en sorte que son spectacle ne soit pas "pour la guerre, mais à cause d’elle". Les amoureux du théâtre à texte seront peut-être agacés par l’absence de surtitres pendant les longs moments que durent les incantations en samoan, mais ceux qui parviendront à entrer dans la poésie des sons pourront sortir transformés de ces deux heures de spectacle.

Enfin, au delà de la réussite globale de cette création, et malgré le peu d’attention que Lemi Ponifasio porte au concept de Culture, il reste intéressant de voir le Festival d’Avignon se pencher sur la création non-occidentale. En dehors de la venue marquante de quelques artistes tel Dieudonné Niangouna, les précédentes éditions s’étaient concentrées sur la création expérimentale européenne, délaissant le reste du monde. Ainsi, en programmant ce type de spectacles et d’artistes, Olivier Py affirme l’ancrage politique et contemporain du festival dont il vient de prendre les rennes, mais renoue avec l’idée d’un théâtre populaire tel que le désirait Jean Vilar en son temps.