Arnaque ou folie boursière ? Les commentateurs se perdent en conjectures face à la folle trajectoire boursière de l’étrange société internet Cynk. Sans revenu, elle est passée en un mois d’une valeur boursière de 0 à 4,5 milliards de dollars.
La Security and Exchange Commission (SEC - le gendarme américain de la Bourse) a frappé. Elle a fait arrêter, vendredi 11 juillet, la cotation de la start-up Cynk et ouvert une une enquête sur cette mystérieuse société.
La SEC met ainsi un terme à un mois de folie boursière. Cynk, une société inconnue du grand public enregistrée au Nevada - un État à la fiscalité très douce pour les entreprises -, et dont le siège est au Belize (un paradis fiscal), était passée d'une valeur boursière de 0 à 4,5 milliards de dollars en un clin d'œil.
En un mois, l’action Cynk est passée de 0,10 dollar à 13,90 dollars, soit une progression astronomique de 23 066 %. L’engouement des investisseurs pour cette valeur est d’autant moins compréhensible que l’entreprise a généré zéro dollar de revenu et accumulé, depuis sa création en 2008, un déficit de 1,58 million de dollars, d’après des documents financiers fournis à la Security and Exchange Commission en septembre 2013. Un mystère financier derrière lequel se trouve nombre d'aspects légaux, économiques et humains.
À l’origine, la société ne s’appelait pas Cynk mais Introbuzz. Elle avait pour but de fournir au monde un réseau social d’un nouveau genre, d’après la description de son objet social. Sa grand œuvre : lancer un site, introbizz.com, qui permettrait à ses utilisateurs de payer pour entrer en relation avec “le bon dirigeant, la bonne nounou, le bon développeur informatique ou même le parfait partenaire de squash”. Le tout pour donner un coup d’accélérateur à la carrière ou améliorer le quotidien des abonnés.
Angelina Jolie, Leonardo di Caprio
Sauf qu'Introbizz.com (avec deux "z") n’a jamais vu le jour. La société, devenue Cynk en 2012 à l’occasion de son entrée en Bourse, a mis en ligne introbiz.com. Un “z” en moins qui fait toute la différence ? Dorénavant, ce “réseau social” permet toujours d’obtenir, contre paiement, les coordonnées de perles rares, mais avec une dimension beaucoup plus glamour. La nounou ou le partenaire de squash ont été remplacés par Angelina Jolie, Leonardo di Caprio ou encore Jennifer Lawrence et Johnny Depp.
Pour seulement 50 dollars, Cynk promet donc un accès direct à ces icônes du show-bizz. Trop beau pour être vrai ? D’abord, la description de l’offre précise qu’il ne s’agit que de l’email et/ou du numéro de téléphone de l’agent, du responsable presse ou du représentant légal. Un carnet d'adresses fourni à introbiz.com par Black Book, une énigmatique structure qui ne semble avoir aucune existence, du moins sur le Web. Étrange pour une société qui se targue d'avoir accès au gratin d'Hollywood.
Valse des dirigeants
Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. En coulisses, Cynk ne compte qu’un seul employé qui a souvent changé de visage. En fait, cette société a eu quatre PDG-responsable technique-actionnaire majoritaire depuis 2008. Le “Wall Street Journal” les a tous pistés et s’est épuisé à essayer de comprendre les dessous de cette valse des dirigeants. Ils ont tous confirmé avoir vendu leur part - sans préciser à qui - mais aucun n’a voulu entrer dans le détail de l’aventure formidable de Cynk.
Depuis février 2014, le patron de cette étrange structure s’appelle Javier Romero. On sait qu’il a acquis 210 millions d’actions de Cynk et qu’il réside au Belize. Mais c’est tout. Sur le réseau social professionnel, deux profils correspondent à ce nom : un employé d’une société qui enseigne à piloter des avions et un autre qui travaille pour l’institut de statistique de Belize. Pas franchement des profils de Mark Zuckerberg.
Par ailleurs, depuis sa création, Cynk n’a jamais soumis ses comptes à un audit extérieur, même après son entrée en Bourse, relève le site d’analyses boursières SeekingAlpha. “Ce devrait être un panneau danger pour n’importe quel investisseur”, s’étrangle-t-il. Pourtant, les boursicoteurs en sont fous et les commentateurs se perdent en conjectures pour justifier cet emballement financier.
“Loup de Wall Street” ou arnaque à gogo ?
Les deux explications les plus récurrentes relèvent de la spéculation tous azimuts sur ce qu’on appelle les “penny stock” (des actions qui ne valent rien ou presque). Pour le blog financier Zerohedge, l’histoire est digne du film le “Loup de Wall Street” : des boursicoteurs par l’odeur de l’argent alléché identifient une société dont les actions ne valent rien ou presque et qui est sur un créneau porteur (les réseaux sociaux). Puis ils essaient de vendre le plus d’actions possibles à des riches investisseurs qui, pour quelques cents, ne regardent pas trop à la dépense. Au passage, les traders gagnent, pour chaque transaction, une commission de plus en plus importante au fur et mesure que l’action grimpe en Bourse.
L’autre scénario, présenté par SeekingAlpha, revient à faire de Cynk la “nouvelle arnaque du jour à Wall Street”. Selon cette hypothèse, les quelques rares actionnaires de l’entreprise profitent de la cotation de la société sur un petit marché financier (OCT) qui n’est presque pas régulé.
Comment ça marche ?
- Les actionnaires commencent par se vendre les actions entre eux afin de gonfler artificiellement le cours
- Ils permettent ensuite à des spécialistes de la vente à découvert en Bourse d’entrer en jeu en leur proposant l’action. Ce genre de boursicoteurs adore parier sur la chute à court terme de certaines valeurs. Leur modus operandi est en effet d’”emprunter” des actions à un tiers, de les vendre au prix du marché en promettant de les racheter à une date ultérieure fixée à l’avance. Si le cours chute, ces vendeurs à découvert paient moins pour récupérer l’action et peuvent garder la différence.
-“Cynk a tout d’une bonne affaire pour eux”, note SeekingAlpha : sans revenu et réelle activité l’action doit s’effondrer.
- Sauf que les actionnaires vont transformer ces as de la spéculation à court terme en vache à lait : ils vont se remettre à s’échanger les actions entre eux, et ainsi l’action continue à monter en flèche au lieu de s’écrouler.
- Les spéculateurs se retrouvent alors dans une situation délicate : soit ils rachètent bien l’action à un prix plus élevé et accepte de perdre de l’argent, soit ils décident de renouveler le “bail” de location de l’action en espérant que le cours va chuter. Mais pour ce faire, ils doivent payer une prime… aux actionnaires qui ont contribué à faire gonfler la valeur boursière de Cynk.
Il y a fort à parier que la bulle boursière autour de Cynk finisse par se dégonfler. Pour autant, connaîtra-t-on alors le fin mot de cette folle épopée boursière ?