La découverte récente des dépouilles de 800 enfants, à Tuam, dans l’ouest de l’Irlande, a fait scandale. Aujourd’hui, les révélations se multiplient et les anciennes mères-filles, ostracisées pendant des décennies au XXe siècle dans cette société catholique conservatrice et arrachées à leurs enfants, témoignent.
Un charme suranné se dégage de la vieille bâtisse de Bessborough, nichée dans le paysage bucolique de Cork, dans le sud de l’Irlande. Elle est pourtant un lieu de triste mémoire. Un lieu de larmes et de morts indignes. Des générations de jeunes filles enceintes hors mariage y ont été enfermées contre leur gré, asservies et séparées de force de leurs nouveau-nés, donnés à d’autres ou élevés dans une négligence souvent fatale.
Veronica, qui témoigne aujourd'hui sous un pseudonyme, a été l’une des victimes de cette société conservatrice catholique de l’Irlande du siècle dernier. Enceinte hors mariage au début des années 1970, elle a été, comme les autres, considérée comme une "femme perdue" et envoyée de force dans la maternité de Bessborough pour y donner la vie dans le plus grand secret.
Après quelques mois dans l’Institution aux côtés de sa fille Marie-Lucie, Veronica s’est vu enlever son bébé, diagnostiqué, à quelques mois, d’une anomalie cardiaque. La petite n’est jamais revenue de l’hôpital où sa mère n’a jamais pu lui rendre visite. "De leur point de vue, mon bébé n'avait pas de maman […]. Personne ne m'a tenue informée de quoi que ce soit. Avant de mourir mon bébé n'a eu personne pour la tenir dans ses bras, pour le réconforter face à la maladie", témoigne cette mère à jamais éplorée.
Un quart des enfants illégitimes morts en bas-âge
Les conditions de vie étaient particulièrement difficiles dans ces "Mother and Baby Homes". Forcées d’accoucher dans ces maternités surpeuplées et mal équipées, les jeunes femmes ne bénéficiaient d’aucun suivi ni traitement médical, pas plus que les nouveau-nés. Les plus frêles ne résistaient pas et succombaient de convulsions, tuberculose, malnutrition, pneumonie, gastro-entérite ou rougeole. Près d’un quart des enfants illégitimes mourraient en bas âge. La lugubre maternité de Bessborough, elle, a enregistré des taux de mortalité infantile ayant atteint une année le taux de 61 %.
Nés hors mariage, les enfants n'étaient pas baptisés et ne pouvaient donc pas être enterrés dans un cimetière. Difficile donc pour ces mères de retrouver les dépouilles de leurs petits. Cela a pris vingt ans à Veronica pour retrouver la trace de Marie-Lucie, dans le carré des nouveau-nés d’ un cimetière de Dublin, bien loin de Cork. D’autres mères n’ont même pas la maigre consolation de pouvoir pleurer sur la tombe de leurs enfants.
Un traumatisme collectif
En mai dernier, une sordide découverte a obligé l’Irlande à faire face à cette partie sombre de son histoire : les dépouilles de 800 enfants de mères célibataires ont été identifiées dans une fosse commune de Tuam, dans l’ouest de l’Irlande. Ils y avaient été inhumés secrètement par les sœurs de "Bon Secours" de l’ancien foyer catholique St Mary, entre 1925 et 1961. Âgés de 2 mois à 9 ans, les petits seraient “potentiellement [morts] de faim et de négligence”.
La fosse, remplie à ras bord d'ossements, a été découverte en 1975 par les habitants de Tuam lorsque les dalles de béton qui la couvraient se sont dissociées. Jusqu'à présent, les habitants croyaient qu'il s'agissait des restes de victimes de la grande famine qui a touché l'Irlande à partir de 1840. Mais en étudiant les archives de l’institution catholique, l’historienne Catherine Corless a révélé la véritable identité des dépouilles.
Le choc provoqué par cette découverte macabre a contraint le gouvernement irlandais à l'action. Une enquête est en cours et devra mettre en lumière les rouages de ces maternités inhumaines. Mais comment panser les maux de ces centaines de mères violentées ? L'Irlande entame aujourd’hui un lourd travail d'introspection collective pour tenter de soulager le pays d’un traumatisme qui risque de hanter plusieurs générations.