Les combats entre les insurgés sunnites de l’EIIL et l’armée irakienne soutenue par des miliciens chiites et les peshmerga, kurdes, se poursuivent vendredi. Les centres d’extraction et de commerce du pétrole sont les zones plus disputées.
Les combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) avancent de façon fulgurante vers le centre et le nord-est de l’Irak. Les cours mondiaux du pétrole, eux, ont atteint ces deux derniers jours leur plus haut niveau depuis neuf mois.
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Spéculation financière ou véritable crainte de voir les champs pétrolifères du deuxième producteur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) passer sous la coupe des insurgés ?
Sur FRANCE 24, l’ambassadeur d'Irak en France Fareed Yassin a reconnu le défi auquel font face les autorités de Bagdad. "Dans le Nord, certain de nos pipelines ne seront plus opérationnels pendant un bon moment, donc cela va vraiment nous affecter", a-t-il déclaré, avant d’ajouter : "C’est un point négatif, mais cela ne constitue pas une rupture complète."
De fait, la ville Mossoul et sa région de Ninive, sous le contrôle de l'EIIL depuis le 10 juin, ne représente qu’un dixième de la production irakienne. Les exportations du brut de ces champs pétrolifères sont à l'arrêt depuis des attaques, début mars, contre l’oléoeduc qui relie la région à la Turquie.
"Les deux grandes zones de production de pétrole en Irak sont le Nord, dans la zone kurde, et le Sud dans la zone chiite près du Golfe", explique à FRANCE 24 Jean-Marie Chevalier, professeur de sciences économiques à l’université Paris Dauphine et consultant chez Cambridge Energy Research Associates. Tant que les combats se concentrent au centre du pays, "la production de pétrole irakienne n’est pas menacée", estime-t-il.
Platts map shows #Iraq's #oil and gas pipelines around Iraqi's oil hub of Kirkuk: http://t.co/RcTz49XL99 pic.twitter.com/AFefCwVUr7
— Platts Oil (@PlattsOil) 13 Juin 2014L’Agence internationale de l’énergie (AIE) partage cette analyse, dans son rapport mensuel sur le pétrole publié vendredi 13 juin. "La situation évolue rapidement, mais pour l’instant il n’y a aucun impact sur les approvisionnements", déclare à FRANCE 24 Antoine Halff, chef de la division industrie et marchés pétroliers à l'AIE. "Si les insurgés parvenaient à cibler le Sud, l’impact sur la production serait beaucoup plus fort", avertit-il.
Risque politique
La hausse du prix du brut résulterait donc davantage du risque politique que constitue la présence des djihadistes à une centaine de kilomètres de Bagdad. "Cette augmentation de trois à quatre dollars par baril illustre des inquiétudes sur la production future et non immédiate", analyse Antoine Halff.
L’AIE s’attend à une augmentation de la demande en énergie avec la reprise économique mondiale. Une déstabilisation de l’Irak pourrait remettre en cause l’équilibre observé sur les marchés pétroliers depuis des mois.
"La situation est dangereuse parce que l’Irak était présenté, ces derniers mois, comme une potentielle source d’augmentation considérable de la production pétrolière, ce qui impliquerait en Irak d'énormes investissements", explique Jean-Marie Chevalier. "Dans l’état actuel des choses, je vois mal comment ces investissements pourraient être faits."
D’autres producteurs comme l’Arabie saoudite ou l’Iran, dont les relations avec les pays consommateurs s’améliorent, pourraient cependant prendre le relais.
L’ambassadeur irakien Fareed Yassin ajoute que certaines régions de son pays sont en train d'augmenter leur production. "L'Irak continue de pomper du pétrole, et de plus en plus. La plupart de nos gisements géants sont maintenant dans le sud, et nous sommes entrain d'augmenter nos exportations dans le sud de Bassora", déclare le diplomate.
Exportations kurdes
Mais sur le terrain, le pétrole est aussi un enjeu entre les différentes factions qui ont pris part à la récente intensification des combats.
Jeudi, les forces de sécurité kurdes sont sorties de leur région autonome, dans le nord-est de l'Irak, pour prendre le contrôle de la ville de Kirkouk, située au-dessus de l’un des plus grands gisements de pétrole du pays. Officiellement destiné à protéger la ville de l’offensive djihadiste après le retrait de l’armée irakienne, ce déploiement pose le problème du futur statut de la zone. Les autorités régionales kurdes ont d'ailleurs commencé, fin mai, à exporter leur propre pétrole par la Turquie, sans l’autorisation de Bagdad.
Pour l’EIIL, venu des zones pauvres en hydrocarbures de l’Ouest, la conquête de l’Est est une façon d’acquérir des richesses. "L’EIIL sur le point de former son propre État. Aujourd’hui, il contrôle une large zone géographique entre l’Irak et la Syrie, dont des ressources économiques importantes comme du pétrole, des raffineries et de la main-d’œuvre", constate Riad Qahwaji, directeur de l’Institut d’analyse militaire pour le Proche-Orient à Dubaï.
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L’épisode rocambolesque du pétrolier nord-coréen appelé par des rebelles libyens pour exporter du pétrole sans l’autorisation du gouvernement de Tripoli, en mars dernier, a cependant illustré la difficulté, pour un groupe armé, de se financer par le commerce du brut. La marine américaine avait immédiatement arraisonné le navire.
"Dans le cas où les insurgés arriveraient à prendre le contrôle d’installations et à les faire fonctionner, n’importe qui ne se porterait pas acquéreur", souligne Antoine Halff de l’AIE. Du fait des exigences de sécurité et des assurances requises dans le commerce des hydrocarbures, "il ne suffit pas d’avoir du pétrole pour arriver à le vendre", assure-t-il.
itL’EIIL a toutefois encerclé la grande raffinerie irakienne de Baiji, qui alimente Bagdad en carburant. "C’est le moyen de faire du commerce au noir, parce que vous récupérez du pétrole que vous pourrez revendre ailleurs sous forme de produits raffinés", explique Armelle Charrier, spécialiste politique internationale à FRANCE 24.
Elle ajoute qu’avant leur retrait d’Irak, les forces américaines avaient déjà arrêté le chef de la police de Baiji en 2008 en raison de la contrebande d’essence qu’il pratiquait… avec l’EIIL.