Les djihadistes de l’État islamique d’Irak et au Levant (EIIL), qui mènent une offensive fulgurante contre le pouvoir central irakien, bénéficie du soutien d'une partie de la communauté sunnite. Explications.
"Marcher sur Bagdad", tel est leur objectif. Après les prises fulgurantes de Mossoul, métropole du nord de l'Irak, de sa province Ninive, et de Tikrit (à 160 km au nord de Bagdad), ex-fief de Saddam Hussein, les djihadistes de l’État islamique d’Irak et au Levant (EIIL) avancent en direction de la capitale irakienne. À ce jour, ils sont à moins de 100 km de Bagdad.
Si le pouvoir central ne parvient pas à stopper cette offensive, l’EIIL pourra revendiquer le contrôle d’un vaste territoire qui englobe les provinces d'Anbar, de Ninive et de Salaheddine. C’est assurément cette perspective qui a poussé des chefs de tribus sunnites, des groupuscules islamistes, des ex-baasistes et d’anciens officiers de l'armée de Saddam Hussein à se ranger du côté des extrémistes de l’EIIL. Tous sont révoltés par la politique du gouvernement du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, qu’ils jugent sectaire et autoritaire.
Une offensive soutenue par les sunnites
Interrogé par FRANCE 24, Romain Caillet, spécialiste des questions islamistes à l'Institut français du Proche-Orient, affirme que l’EIIL bénéficie clairement du soutien d’une partie de la population sunnite, qui se sent discriminée par Nouri al-Maliki. En effet, dépourvue d’idéologie et privée de chef charismatique, une partie de la communauté sunnite d’Irak considère que les djihadistes sont le seul moyen de se débarrasser du régime chiite d’al-Maliki et les voient comme un levier pour parvenir à cette fin.
Mais ce jeu d'alliances ne s'arrête pas là. Car sur le terrain, l’EIIL n’est pas seul. "Les combattants de l’EIIL ne sont pas les seuls acteurs de cette insurrection, des tribus sunnites indépendantes, des nostalgiques de Saddam Hussein, mais aussi des groupes djihadistes concurrents y participent", précise Romain Caillet.
Ces diverses complicités expliquent en partie la facilité avec laquelle les djihadistes ont concrétisé leurs percées sur le terrain. Ils ont profité également de la débandade de l'armée irakienne et des désertions massives de soldats sunnites, qui, dans l'armée, n'ont d'autre choix que de mourir pour al-Maliki "le chiite" - ce qu'ils refusent - ou être exécuté par les djihadistes s’ils résistent.
"L'EIIL représente la colonne vertébrale de l’offensive, mais derrière ces djihadistes, il y a tout un peuple qui ne se reconnaît pas dans le régime de Nouri al-Maliki", souligne à son tour Antoine Basbous, politologue spécialiste du Moyen-Orient et directeur de l'Observatoire des pays arabes, basé à Paris. Selon lui, le Premier ministre chiite a créé les conditions de cette insurrection dès le mois de décembre 2012, en réprimant, "tel un Saddam", des sunnites qui protestaient contre le pouvoir dans les villes de Fallouja et de Ramadi.
En janvier 2014, ces deux villes, sont passées sous le contrôle de l’EIIL. Bagdad a ainsi perdu son autorité sur d'importantes villes à majorité sunnite. Une première, depuis l'invasion américaine de 2003.
Un État transnational
Ces récentes offensives sont synonymes de scénario catastrophe pour le pouvoir central : les djihadistes de l’EIIL et les insurgés apparaissent sur le point de reconstituer une vaste zone sunnite hors du contrôle du gouvernement chiite de Nouri al-Maliki. Une étape qui pourrait sceller de facto la partition entre Kurdes, sunnites et chiites dans pays au bord de l’implosion et rongé par des violences confessionnelles depuis un an et demi.
Enfin, si l’EIIL parvient à capitaliser son offensive, il y aura rapidement de grandes conséquences à l’échelle de la région. "En formant un État transnational à cheval sur la Syrie [où l’EIIL opère activement, à la fois contre Damas et contre les rebelles, NDLR] et l’Irak, les djihadistes pourraient, à terme, se mesurer au régime de Bachar al-Assad et à l’Iran chiite [les deux ennemis désignés du groupe extrémiste, NDLR]", conclut Romain Caillet.