Un sommet consacré au délicat sujet du viol en temps de guerre se réunit pendant trois jours à Londres. Experts et politiques tentent de trouver des solutions à cette arme de destruction massive. En la matière, la Libye est pionnière.
Réparer. Réparer la blessure, la honte, la destruction physique et psychologique. Restaurer l’estime de soi et regagner celle des autres. Tels sont les objectifs ambitieux du sommet international sur le viol, premier au monde organisé sur ce thème, qui se tient à Londres du 10 au 13 juin.
Il réunit des délégations de plus de cent pays, représentants gouvernementaux et religieux, ONG, experts militaires et juridiques, associations humanitaires et membres de la société civile. Pendant trois jours, ils planchent pour trouver les solutions pratiques et concrètes qui doivent permettre non seulement de mettre un terme à ce fléau, mais également d’aider ceux et celles qui en ont été victimes à se relever et retrouver une place dans la société.
Qualifier les violences sexuelles comme armes de guerre
Car le viol en situation de conflit n’est pas seulement un "acte sexuel non consenti" comme le définit la loi. Il est l’une des armes de guerre les plus redoutables. Que ce soit pendant la guerre civile espagnole, en ex-Yougoslavie, au Rwanda, en République démocratique du Congo, en Libye, ou dernièrement en Syrie, le viol massif et stratégique a brisé des hommes, des femmes, des familles, des communautés entières.
"Le terme de viol ne suffit pas. Car le viol en situation de conflit ne répond pas à des pulsions sexuelles, ou pas seulement. Le viol est efficace car il détruit et stigmatise la personne. Il faudrait réfléchir à un terme qui exprime tout cela", précise Céline Bardet, juriste en droit international.
La question de la qualification du viol en situation de conflit est au cœur des trois jours de débats et tables rondes. Le ministre britannique des Affaires étrangère, William Hague, qui préside le sommet avec Angelina Jolie, ambassadrice de bonne volonté des Nations unies, a évoqué un "nouveau protocole international" pour mieux répertorier et poursuivre ces crimes. Et pour voir comment améliorer la formation des militaires, développer le soutien aux victimes et changer la législation de certains pays.
Le viol : un immense tabou
Développer des outils juridiques, Céline Bardet en a fait sa spécialité. Après avoir travaillé au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, elle s’est intéressée aux exactions commises durant les Révolutions arabes et particulièrement en Libye. Pendant les 42 ans du règne de Mouammar Kadhafi, puis par représailles pendant la révolution, le viol y a été omniprésent.
"Kahdafi a érigé le viol en système, l’utilisant à des fins d’assouvissement personnel mais aussi - et surtout - comme un outil de répression politique et stratégique", explique la juriste. Dans les geôles de la Grande Jamahiriya, des milliers, voire des dizaines de milliers d’hommes et de femmes ont été incarcérés nus, violés quotidiennement, réduits à l’esclavage sexuel. Selon elle, entre 10 000 et 15 000 personnes, voire davantage, ont subi des violences sexuelles pendant, et après, le règne de Kadhafi.
Pendant la révolution de 2011, les violences sexuelles sont restées au cœur de la politique de terreur menée pas les partisans du régime, devenant une pratique de représailles exercée contre les populations des villes reconquises par le pouvoir. Parmi les victimes, 30% d’hommes, selon la juriste. Elles sont peut-être plus mais les recenser précisément est difficile tant "le tabou est immense, d’autant plus quand il concerne des hommes et particulièrement dans des pays musulmans", explique Céline Bardet.
Dans la société libyenne, patriarcale et profondément religieuse, le viol est un déshonneur qui entache toute la famille. "Un crime plus impardonnable que le meurtre", selon le ministre libyen de la justice, Salah Bashir Margani. Une offense que l’on tait et que l’on règle en privé, poussant certains au meurtre, d’autres au suicide. Réparer est devenu la priorité de Margani. "Kadhafi était craint mais néanmoins admiré. Les Libyens le voyaient comme un bon musulman. Quand les témoignages de victimes ont commencé à affluer, cela a été un tel choc que Margani a mis un point d’honneur à vouloir réparer ces crimes", poursuit Céline Bardet qui a beaucoup travaillé avec lui sur la mise au point d’un projet de loi. Avec succès.
La Libye, pionnière en matière de droit des victimes
Le 19 février dernier, le gouvernement libyen a adopté un décret reconnaissant comme "victimes de guerre" ceux et celles ayant subi des violences sexuelles au cours des huit mois de la révolution de 2011 et celles "contraintes de rejoindre les groupes destinés à satisfaire les désirs de Mouammar Kadhafi et de ses fils". Entré en vigueur dès son adoption, il permet aux victimes de bénéficier d’aides médicales et financières, mais aussi d’un logement, d’une éducation et même d’un pèlerinage à La Mecque.
Une première mondiale. Si l’arsenal juridique existe au niveau international – la CPI a reconnu le viol comme crime de guerre en ex-Yougoslavie – c’est la première fois qu’un gouvernement se dote d’une loi spécifique. Le vote du Parlement libyen – retardé par la situation chaotique du pays – est attendu par tout le Moyen-Orient. "Les Tunisiens et les Égyptiens sont déjà intéressés. Les femmes qui y ont été violées attendent cette loi avec l’espoir de retrouver un jour leur droit, leur honneur et leur place dans la société", explique la juriste, qui a accueilli la délégation libyenne venue parler du décret au sommet de Londres.
La Libye a mis fin au déni. Elle a brisé le silence et posé une base solide pour faire cesser le cycle de violence. Pour Céline Bardet, c’est la promesse d’un renouveau pour les victimes : "La justice répare. Mais ce n’est qu’un début, le début d’une nouvelle vie".