logo

Égypte : le retour annoncé de l’armée au pouvoir, une question qui divise

Si l'armée est redevenue très populaire en Égypte après la chute des islamistes, beaucoup craignent cependant qu'elle revienne sur le devant de la scène à la faveur de la victoire annoncée à la présidentielle d'Abdel Fattah al-Sissi. Reportage de Sonia Dridi.

L'ancien chef de l'armée égyptienne Abdel Fattah al-Sissi est assuré de remporter haut la main la présidentielle qui se déroule lundi 26 mai en Égypte. Il sera le cinquième président issu de l'institution militaire à gouverner le pays.

L’armée est redevenue très populaire, en Égypte, après la chute des islamistes, beaucoup craignent cependant son retour sur le devant de la scène. La correspondante de FRANCE 24 Sonia Dridi est allée à la rencontre d'Égyptiens d'horizons divers, pour recueillir leur opinion sur le rôle de l'armée dans la vie politique du pays. Sans surprise, les avis divergent.

Ainsi, à l’instar du pays, la famille du jeune Mohamed El-Khazragi est très divisée sur la question. Sa mère, Ghada, soutient fermement le général Abdel Fattah al-Sissi. Comme de nombreux Égyptiens, elle considère qu'il a sauvé l'Égypte des mains des Frères musulmans. "Pour moi Sissi est un héros national, entouré par le peuple", explique-t-elle.

Un discours difficile à entendre pour Mohamed, qui a participé activement à la campagne du socialiste Hamdin Sabahi, un candidat à la présidentielle soutenu par une partie des jeunes activistes laïques. Il affirme qu’il n'acceptera l'armée que si elle répondait "enfin" aux demandes de la révolution.  "Un conflit de génération en Égypte dure depuis la révolution du 25 janvier 2011, juge-t-il. Les générations des années 60 et 70, donc celles de nos pères et nos mères, sont des générations soumises à l'État car elles ont grandi ainsi. Et ces gens aiment la stabilité, même si cette stabilité est illusoire".

Un soutien basé sur la peur ?

Même son de cloche chez les activistes de la célèbre place Tahrir, naguère épicentre de la révolution, aujourd'hui redevenue un rond point comme un autre. Alaa Abdel Fattah, est l'une des principales figures de la révolution du 25 janvier 2011 qui eu raison de l’ancien président Hosni Moubarak.

Emprisonné fin 2013 pour manifestation illégale et violence contre un policier, il a été libéré sous caution il y a deux mois. Avec d'autres manifestants, il protestait contre le pouvoir militaire quand le mouvement a été dispersé par les forces de sécurité. "Deux jours après, ils sont entrés chez moi et m'ont arrêté. J'ai passé quatre mois en prison, raconte-t-il. Je suis désormais libre mais toujours en procès. C'est une affaire très sérieuse. Ils peuvent me mettre en prison pour trois ans, cinq ans ou même dix ans ! Ils veulent éliminer toute opposition".

Pour lui, la peur pousse une partie de la population à soutenir l’armée. "Tu vois 1 000 personnes se faire tuer en six heures [des centaines de personnes avaient péri dans l’assaut des forces de sécurité contre les Frères musulmans, place Rabaa au Caire, en août 2013, NDLR] et là tu te dis : soit je meurs, soit je soutiens les militaires. Donc, ils ne sont pas populaires, ils effraient les gens", assure-t-il.

L’armée appelée au secours

Toutefois, certains dans le pays ne voit pas d’un mauvais œil la reprise en main du pays par l’armée, alors que la sécurité n'a cessé de se détériorer au cours de ces trois dernières années, notamment en haute Égypte. Dans le gouvernorat de Minya, où près de 35 % de la population est chrétienne, les attaques contre la communauté copte se sont intensifiées l'été dernier, à la suite de la chute des islamistes.

À l’instar de nombreux coptes, Michel Gerges, qui a été récemment kidnappé par des bandits armés et relâché en échange d'une rançon, vit dans la peur et soutient le retour de l'armée sur le devant de la scène. "Bien sûr, je préfère un régime autoritaire car les gens, ici, ne savent pas se conduire sans ça", indique-t-il. Il affirme que certains des criminels, des ex-prisonniers, qui l’ont séquestré pendant dix jours, avaient été libérés sous Mohamed Morsi, le président islamiste déchu.

Alors que certains dénoncent les abus d'une armée toute puissante, une majorité d'Égyptiens l'appelle au secours en espérant qu'elle redresse au plus vite un pays, en plein marasme économique et rongé par l'insécurité.