L'opération Aigle, la dernière tentative militaire pour chasser les combattants islamistes Shebab de Somalie, a enregistré plusieurs succès. Reportage autour de la ville de Qoryoley, reprise aux Shebab en mars dernier.
L’ennemi est invisible, mais partout il est présent. Les soldats sont aux aguets, scrutant l’horizon ou jetant des coups d’œil anxieux lorsqu’ils entrent dans une maison.
Les magasins de Qoryoley sont presque tous fermés. La ville a été reprise en mars dernier aux Shebab, un groupe islamiste lié à Al-Qaïda. Seule l’avenue principale, une rue de terre battue où les habitants sont assis à l’ombre des immeubles, compte quelques commerces ouverts. De temps à autre, une charrette transportant des bidons d’eau zigzague entre les soldats de l’Union Africaine, postés des deux côtés de la rue.
Des hommes se hissent sur la pointe des pieds pour attraper les pommes vertes qu’on leur tend depuis les véhicules blindés. Les commerçants, eux, se tiennent sur le pas de leur porte, faisant mine de ne pas remarquer le bruit métallique des tanks qui parcourent la ville.
La prise de Qoryoley, située au sud-ouest de Mogadiscio, est présentée comme une victoire majeure pour l’opération Aigle, la dernière offensive militaire contre la rébellion islamiste. La ville est un point d’accès au port de Barawe, à 70 km de là, qui constitue l’une des rares sources de revenus dont disposent encore les Shebab.
L’Amisom, la force de l’Union africaine, est majoritairement financée par les pays occidentaux. Avant cette offensive, lancée en février dernier, ses troupes ont été renforcées et leur effectif est passé de 18 000 à 22 000 soldats.
L’opération Aigle est la première conjointe de l’Union africaine et de l’armée nationale somalienne. Elle a pour objectif de reprendre le contrôle des quelques villes encore contrôlées par les Shebab et de consolider l’autorité du gouvernement central.
Vide sécuritaire
Mais alors que les troupes de l’Union africaine progressent sur le terrain, le doute s’installe concernant la capacité de l’armée et du gouvernement somaliens à combler le vide sécuritaire et humanitaire qui va suivre le départ des combattants islamistes.
Même si les Shebab n’ont plus de présence visible à Qoryoley, les habitants sont encore dans la sphère d’influence du groupe djihadiste, toujours bien implanté à quelques kilomètres de la ville, sans que l’on sache exactement où se cachent les insurgés.
La région qui entoure Qoryoley est très fertile et fournit les grandes villes en produits agricoles. Mais l’offensive actuelle contre les Shebab est une catastrophe pour les agriculteurs locaux. "Les Shebab se réfugient dans nos maisons. Nous ne sommes que de pauvres gens, des cultivateurs et des éleveurs, mais à cause d'eux, nous avons été bombardés", explique Jibril Abdi, un paysan.
Pourtant, quelque part, Jibril a eu de la chance. D’autres ont perdu leurs récoltes lorsque des routes et des champs ont été inondés, une tactique des Shebab pour ralentir l’avancée des troupes de l’Union africaine. D’après les soldats ougandais de l’Amisom, les insurgés utilisent des canaux à écluses pour détourner la rivière Chébéli, rendant les routes impraticables.
Les Shebab contrôlent aussi les principales routes qui mènent au sud du pays : ils empêchent les civils de sortir ou d’entrer dans la zone contrôlée par l’Union africaine. Les paysans et les marchands ne peuvent donc plus transporter leurs marchandises d’une zone à l’autre.
Une armée somalienne sans moyens et très peu entraînée
Au-delà des défis posés par la guerre contre les Shebab, l’armée nationale somalienne doit faire face à d’autres problèmes. Certains soldats ont bénéficié de programmes de l’Union européenne, mais la plupart n’ont reçu aucune formation sérieuse et sont quand même envoyés au front.
"On nous a dit : 'Attaquez les Shebab, maintenant !', raconte Abdullaye Ali Halena, un soldat blessé de l’armée régulière. Ils nous ont dit que la formation et l’encadrement viendraient plus tard." Les soldats sont donc peu motivés et l’armée nationale donne l’impression qu’elle est incapable de protéger ses citoyens.
Sans moyens et infiltrée par les Shebab, l’armée somalienne manque de casernes et les soldats ne reçoivent pas toujours leur salaire mensuel de 100 dollars (73 euros). "Vous laissez 200 hommes quelque part et le lendemain vous n’en trouvez plus que 20", se désole Ali Aden Humad, porte-parole de l’Union africaine.
Alors que l’Union africaine a réussi à chasser les Shebab de la plupart des villes, le combat contre le groupe djihadiste est loin d’être terminé, même à Mogadiscio. Les combattants islamistes se sont retirés de la capitale en août 2011, mais ils y représentent toujours une menace quotidienne.
Lorsque l’offensive militaire sera terminée, il sera de la responsabilité du gouvernement somalien de maintenir la sécurité et d’apporter une assistance humanitaire aux populations. Tout semble indiquer que les troupes de l’Union africaine devront fournir davantage qu’un rôle d’appui aux Somaliens, pendant encore des mois, voire des années.