Des ouvriers travaillant dans une usine de l’oligarque ukrainien Rinat Akhmetov de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, ont formé une milice. Cette organisation, qui se dit apolitique, a repris le contrôle de la ville.
Ils sont reconnaissables à leurs vestes au nom de l’usine "Ilitch". Des dizaines d’hommes patrouillent depuis plusieurs jours dans la ville de Marioupol, dans le sud-est de l’Ukraine, pour tenter de ramener l’ordre après les émeutes meurtrières qui ont opposé, vendredi 9 mai, les pro-russes aux forces ukrainiennes. Leur particularité : ils n’appartiennent ni à la police ni à l’armée. Il s’agit d’une milice non armée constituée de dizaines d’ouvriers ukrainiens créée à l'initiative du milliardaire Rinat Akhmetov, dont l’usine métallurgique Ilitch est le premier employeur de la région.
Selon James André, envoyé spécial de FRANCE 24, ces hommes ont repris le contrôle de cette ville le 15 mai. "Les barricades ont été enlevées par les ouvriers sidérurgistes. C’est vraiment un virage dans cette crise ce qu’il s’est passé hier", explique-t-il. "On a appris que 18 000 salariés sur les 50 000 qui travaillent pour Rinat Akhmetov ont commencé à patrouiller avec la police. À l’intérieur de la ville, les barrages ont sauté les uns après les autres. Ils l’ont totalement nettoyée".
Les ouvriers se sont mobilisés à l’appel de leur patron, l’homme le plus riche du pays et 101e fortune mondiale. "Il ne s’était pas exprimé jusqu’à présent sur sa position entre les pro russes et l’Ukraine. Hier, il a dit a la télévision qu’il souhaitait que la province reste attachée à l’Ukraine et qu’il voulait plus de fédéralisme. Il a expliqué à l’adresse de ses salariés qu’il y avait un risque avec le rattachement à la Russie. Que cela allait faire effondrer le business, qu’il y aurait du chômage et de la pauvreté", précise James André.
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Pour Iouri Zintchenko, le directeur de l’usine métallurgique Ilitch, cette initiative est judicieuse. "Après les émeutes du 9 mai, qui ont fait 7 morts [40, selon Kiev] et 42 blessés, la population était effrayée, la police démoralisée. Il y avait beaucoup de pillages de magasins, de vols de voiture, le chaos, et le sentiment d'un vide du pouvoir... il fallait réagir", se justifie-t-il.
Patrouille conjointe des employés d'#Akhmetov et de la police à #Marioupol. #Donetsk #Ukraine pic.twitter.com/u27ryZE1mD
— EuroMaidanFrance (@EuroMaidanFranc) 14 Mai 2014"Tout à fait légal"
Pour lui, cette milice nouvellement constituée n'est en aucun cas synonyme d’échauffement des esprits. "C'est tout à fait légal. Nos hommes patrouillent avec la police, ils ne portent pas d'armes. Cela fait deux jours que nous avons commencé et déjà, il n'y a plus de pillage et d'hommes armés en ville. La situation s'est nettement calmée", assure Iouri Zintchenko. Des journalistes de l’AFP ont effectivement eux aussi constaté que les barricades qui avaient été érigées en ville par les séparatistes pro-russes ont aujourd'hui disparu.
Surtout, la milice assure œuvrer pour la paix. "Nous aimons notre pays, nous sommes pour une Ukraine unie. Nous sommes des patriotes", a déclaré Zintchenko. L’oligarque Akhmenov a demandé aux forces armées ukrainiennes de cesser les interventions et appelé dans le même temps les pro-russes à renoncer à l'indépendance et à négocier.
Ne pas retourner dans le giron russe
Pourtant, si la milice assure ne prendre aucun parti, force est de constater que l'oligarque ukrainien a tout intérêt à essayer d’enrayer les velléités séparatistes de l’est du pays pour protéger ses affaires. "Si les oligarques appartiennent, par leurs méthodes et l'origine de leur fortune, au monde ex-soviétique, leurs affaires, depuis longtemps légales, les tournent vers l'Occident et l'Europe", écrit le "Figaro". Akhmetov n’aurait donc aucun intérêt à retourner dans le giron russe.
Or, l'avenir est incertain pour Donetsk et Lougansk. Depuis dimanche, la région a en effet voté par référendum pour son indépendance - et a fortiori pour son rattachement à la Russie. Une séparation effective du reste de l'Ukraine - non reconnue par Kiev et l'UE - qui pourrait considérablement affecter les intérêts financiers de l’oligarque : une bonne partie de l'empire industriel du milliardaire étant concentrée dans la zone en question.
"Vampires oligarques"
Pour ne rien arranger, le journal "La Voix du peuple", organe de la "République de Donetsk" des séparatistes pro-russes, a récemment dénoncé la présence de "vampires oligarques" [tels que Akhmetov] et appelait la semaine dernière à "la fin du bantoustan oligarco-nazi" en Ukraine…
Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche d'Ukraine, représente pour beaucoup en Ukraine l'archétype de ces oligarques qui ont fait la pluie et le beau temps dans le pays depuis vingt ans, après s'être enrichis rapidement dans des conditions opaques au cours des premières années de l'indépendance.
Avec AFP