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COP30 : Belém, une ville aux portes de l'Amazonie pour "négocier au cœur des problèmes"
Du 10 au 21 novembre, la cité portuaire de Belém, au Brésil, accueillera la COP30 et ses 50 000 participants. En choisissant cette ville située aux portes de l'Amazonie, le président Lula affiche l'ambition de tenir ces nouvelles négociations sur le climat "au plus près des problèmes". Il aura cependant dû faire face à de nombreux défis logistiques.
Un garçon frappe dans un ballon près d'un panneau annonçant la COP30, à Belém, au Brésil, le 23 mars 2025. © Jorge Saenz, AP

On ne compte plus les conférences pour le climat (COP) qui ont eu lieu dans de grandes métropoles urbaines : Paris en 2015, Glasgow en 2021, Dubaï en 2023… À chaque fois, le grand raout des négociations climatiques prend la même tournure. Pendant une dizaine de jours, dirigeants mondiaux, diplomates, chefs d'entreprise, scientifiques, membres de la société civile vont de réunion en réunion dans un grand centre de conférence avant de rejoindre à la fin de journée le lieu de leur hébergement. De leur côté, les villes hôtes et les pays profitent d'avoir les projecteurs braqués sur eux pour mettre en avant ce qu'ils ont accompli dans la lutte contre le dérèglement climatique.

En annonçant dès 2023 sa volonté d'organiser la COP30 à Belém, la capitale de l'État amazonien du Para, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva semble avoir voulu provoquer un changement de dynamique. Cette fois-ci, le rendez-vous se tient dans une ville située à l'embouchure du fleuve Amazone et à la lisière d'une forêt considérée comme le poumon de la planète.

Une ville au carrefour de la forêt et de l'océan

Un choix "symbolique et politique", selon David Dumoulin, professeur de sociologie à l'Institut des hautes études de l’Amérique latine. La ville de Belém se situe au nord-est de la forêt amazonienne, dans le delta des fleuves Guama et Acara. Géographiquement comme historiquement, son destin a toujours été lié à sa position de carrefour entre la forêt amazonienne et l'océan Atlantique.

"En 1616, les Portugais ont fondé leur colonie à Belém pour avoir un endroit qui leur permettait de contrôler l'accès au fleuve Amazone et d'être protégés des nouveaux arrivants venus de l'océan", rappelle Ana Claudia Cardoso, professeure associée à la faculté d'architecture et d'urbanisme de l'Université fédérale du Para (UFPA).

Et rapidement, leur économie s'est tournée vers le commerce des produits issus de la forêt. Initialement, "les premiers colons pensaient exploiter la région en établissant des plantations. Ils ont finalement rapidement réalisé qu'il était plus facile de vendre des produits de la forêt comme le faisaient déjà les peuples autochtones", poursuit la spécialiste, qui rappelle qu'à cette époque, les populations indigènes ont fait découvrir de nombreux produits aux Européens - épices, céréales, fruits, huiles, caoutchouc, graisse de poisson, cacao...

"Belém est ainsi devenue pendant plusieurs centaines d'années la ville la plus grande et la plus importante de toute l'Amazonie. Tous les produits forestiers étaient apportés dans les marchés de la ville avant d'être expédiés vers d'autres régions du Brésil, les Caraïbes ou l'Europe", poursuit-elle. Une activité encore renforcée dans les années 1950 avec l'arrivée d'un vaste réseau routier, transformant progressivement Belém en plaque tournante du commerce amazonien.

Aujourd'hui encore, comme un vestige de cette histoire, le Ver-o-Peso, l'un des plus gros marchés en plein air d'Amérique latine, qui propose des dizaines d'étals d'açai, de poisson frit, de fruits ou encore de noix en provenance de la forêt amazonienne, est l'une des principales attractions touristiques de la région et une pierre angulaire de l'économie de la ville.

COP30 : Belém, une ville aux portes de l'Amazonie pour "négocier au cœur des problèmes"
Des baies d'açai au marché Ver-o-Peso à Belém, au Brésil. © Rodrigo Abd, AP

"En choisissant Belém, Lula s'assure ainsi que la forêt amazonienne et les pressions qui pèsent sur cet écosystème seront au centre des discussions", résume David Dumoulin.

Une forte représentation indigène

"La ville possède par ailleurs une forte présence des peuples indigènes", poursuit le sociologue. Le choix permet donc de faire une pierre deux coups et de servir une autre ambition du président brésilien : faire de ce rendez-vous une "COP des peuples".

Selon la ministre brésilienne des Peuples autochtones, Sonia Guajajara, le sommet affichera ainsi la plus grande participation autochtone jamais enregistrée en 30 ans de ces négociations sur le climat.

"Pendant ces deux semaines, Lula va pouvoir mettre en scène l'histoire de la région et jouer sur la représentation des peuples indigènes pour faire entendre son discours sur l'importance de l'Amazonie", analyse David Dumoulin. Preuve en est, selon lui, la grande parade de bateaux prévue dans le port de Belém pour l'ouverture de l'évènement.

"Il sera ainsi intéressant de voir ce que les participants à la COP pourront réellement voir de la forêt amazonienne et de Belém. Auront-ils une vraie possibilité d'observation ou l'organisation restera-t-elle cantonnée à cette mise en scène urbaine ?", questionne-t-il.

"Nous allons héberger rien que sur le campus de notre université 3 000 représentants autochtones et des mouvements sociaux du monde entier. Il y aura des manifestations populaires en bateau, dans la rue, et de nombreuses activités culturelles. Belém est un endroit merveilleux avec de la bonne cuisine, une forte culture musicale... Je pense que tout cela favorisera les échanges", se réjouit quant à elle Ana Claudia Cardoso, plus optimiste.

Montrer la réalité du dérèglement climatique

Mais au-delà du symbole, le président Lula a régulièrement justifié son choix en expliquant vouloir organiser cette COP dans une ville en lien direct avec les problématiques évoquées dans les négociations sur le climat. L'objectif affiché : faire comprendre de façon concrète aux dirigeants du monde entier les enjeux des discussions.

"Quelle meilleure façon de s'attaquer à un problème que de le regarder en face, aussi inconfortable cela soit-il", justifiait ainsi en juillet André Corrêa do Lago, le président désigné de la COP30, dans un entretien accordé à l'agence Associated Press.

Souvent présentée comme une "capitale pauvre", la ville fait en effet face à de nombreux défis, renforcés année après année par les effets du dérèglement climatique.

À Belém, près de la moitié des 1,4 millions d'habitants vivent dans des bidonvilles avec "de l'habitat informel, aucune végétation et une forte densité de population", rappelle Ana Claudia Cardoso. Des zones de plus en plus souvent frappées par des inondations massives – un phénomène, s'accordent à dire les scientifiques, rendu plus intense et plus probable sous l'effet du réchauffement du climat. À chaque forte pluie, les rues deviennent ainsi des rivières et l'eau ravage sur son passage des quartiers entiers composés de maisons en tôle. En parallèle, la ville doit composer avec un retard dans les infrastructures et des problèmes sécuritaires réguliers.

"Quand les gens se rendront à Belém, ils verront un pays et une ville en développement avec des problèmes d'infrastructures considérables et un pourcentage élevé de pauvreté", insistait le président de la COP30. De quoi, selon lui, montrer comment la lutte contre le dérèglement climatique et une transition juste pourraient améliorer le quotidien des populations, notamment les plus précaires.

Un défi logistique

Dans cette conjoncture, l'organisation de la COP30 a relevé du parcours du combattant. Pendant plusieurs mois, le doute a persisté sur la possibilité même d'y maintenir l'évènement. Face au manque d'infrastructures, les prix des hébergements s'étaient envolés, allant parfois jusqu'à 4 000 euros la nuit d'hôtel, voire bien plus dans des établissements haut de gamme. Des prix qui auraient exclu des négociations de nombreuses ONG mais aussi quantité de délégations issues de pays en développement.

Pour faire face, les organisateurs ont dû faire preuve d'ingéniosité. Une partie des participants doivent ainsi être logés à bord de deux énormes paquebots transatlantiques amarrés dans le nord de la ville. D’autres seront accueillis dans des casernes de l’armée, des établissements scolaires ou, plus étonnant encore, dans des "love motels" réaménagés pour l’occasion. L’iconique bidonville de Vila da Barca, construit sur pilotis à même la baie de Guajara, accueillera quant à lui 200 jeunes du monde entier dans un centre d’hébergement gratuit et solidaire.

À quelques jours de l'évènement, les organisateurs semblent avoir finalement réussi leur pari. Au total, 159 pays auraient trouvé un hébergement et confirmé leur présence selon le Secrétariat spécial pour la COP30 (Secop), soit plus que le minimum nécessaire pour valider les décisions de ce grand rendez-vous international.

Quel héritage ?

Reste l'éternelle question qui accompagne chacun de ces grands évènements : qu'en restera-t-il pour les habitants de la ville hôte ?

Avec la COP30 comme catalyseur, la ville ressemble à un immense chantier de construction depuis deux ans. Le gouvernement fédéral a alloué quelque 4,8 milliards de reais (776 millions d'euros) pour améliorer les infrastructures. Début août, le comité d'organisation de la COP30 annonçait dans un communiqué que huit projets d'envergure avaient été achevés. Parmi eux, la rénovation du marché Ver-o-Peso, la réfection de 90 kilomètres de routes, la construction de deux parcs ou encore celle de stations d'épuration.

Mais sur place, les critiques fusent, dénonçant des travaux bénéficiant uniquement aux populations les plus privilégiées. Dans une vaste enquête, le site d'information Sumauma a montré que la station de pompage des eaux usées construite près du bidonville de Vila da Barca allait en réalité servir au quartier aisé voisin d'Umarizal. De même, les deux parcs construits dans le nord de la ville vont bénéficier à des quartiers aisés, déjà plus arborés que la majorité de la ville.

"Comme pour tous les évènements qui se déroulent à l'échelle mondiale, comme une COP ou des Jeux olympiques, il y a l'ambition de créer des infrastructures qui vont perdurer. Mais il s'agit avant tout de mettre la ville au niveau des attentes internationales, pas de justice sociale", conclut David Dumoulin.