La "révolution" des chemises jaunes – anti-gouvernement - semble connaître un nouveau souffle. Galvanisée par la destitution de la Première ministre Yingluck Shinawatra, l’opposition espère livrer vendredi sa "bataille finale".
Ils jouent leur va-tout. Vendredi 9 mai, des milliers de chemises jaunes sont descendus dans les rues de Bangkok pour réclamer la chute du gouvernement intérimaire. Menés par un vétéran de la politique thaïe Suthep Thaugsuban, les "jaunes", ces cols blancs de la classe moyenne et aisée de Bangkok, n’ont pas changé de ligne de conduite. Ils veulent "reprendre le pouvoir souverain et mettre en place un gouvernement du peuple". Et pour la première fois depuis six mois de manifestations, leur rêve semble être à portée de main.
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Il faut dire que l’éviction de la Première ministre Yingluck Shinawatra, honnie par les "jaunes" et destituée le 7 mai par la Cour constitutionnelle pour "corruption", résonne comme un avantage indéniable pour l’opposition. Cette destitution affaiblit considérablement le clan Shinawatra, dont le frère Thaksin, en exil à Dubaï, avait déjà été renversé en 2006.
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Un vendredi à haut risque
Ils ont donc choisi de frapper fort, vendredi à Bangkok, en occupant cinq stations de télévision, en campant devant le Parlement et devant le siège du gouvernement et en tentant même d’investir le quartier général de la police. Plus de 20 000 policiers et soldats ont été déployés à cette occasion dans les rues de la capitale.
Frapper fort sur les débris de la Thaksinocratie
Car pour les chemises jaunes, la chute de Thaksin puis de Yingluck n’est pas suffisante. Il leur faut aussi contrer la vingtaine de ministres qui ont survécu au limogeage de la chef du gouvernement cette semaine et qui ont immédiatement désigné Niwattumrong Boonsongpaisan - jusqu'alors chargé du commerce - au poste de nouveau chef du gouvernement. Un homme politique qui n’a, selon l’opposition, " aucune légitimité " . "Pour les chemises jaunes, en effet, ce gouvernement intérimaire est toujours proche de Thaksin. Or, les protestataires veulent éradiquer du royaume la thaksinocratie […] qu’ils accusent de tous les maux : corruption, clientélisme, népotisme", explique Cyril Payen, le correspondant de FRANCE 24 à Bangkok.
L’opposition espère donc profiter de l’amputation du clan Shinawatra pour balayer les "débris" du régime Thaksin et asseoir son autorité. "Ils ont éliminé leur bête noire Yingluck, ils ont affaibli leur cabinet, et ils prévoient désormais d’annoncer la liste de leur propre gouvernement", indique Cyril Payen. Le moment est d’autant plus opportun que la Thaïlande, sans exécutif solide, vit aussi sans Assemblée élue. Les dernières élections législatives du mois de février ont été annulées à cause de violentes manifestations.
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Le bras de fer entre chemises jaunes et gouvernement intérimaire
"Tout cela ressemble à un petit coup d’État, analyse le correspondant de FRANCE 24. La Cour constitutionnelle renverse la Première ministre, la commission anti-corruption la déclare inéligible. Puis, on apprend que la commission électorale n’est plus sûre de la tenue d’élections [législatives] en juillet. […]".
Une inévitable confrontation
Reste qu’il serait dangereux d’enterrer les
chemises rouges aussi rapidement. Même considérablement amputé, le clan Shinawatra peut toujours compter sur le soutien de dizaines de milliers de partisans, notamment les classes paysannes du nord du pays. Ces "rouges", qui sont gré à la famille Shinawatra d’avoir contribué à l’élévation du niveau de vie du monde rural, sont aussi motivés que leurs adversaires politiques et semblent tout aussi prêts à en découdre. "La confrontation semble inévitable samedi [date à laquelle les chemises rouges ont prévu de manifester]. Des milliers de soutiens au gouvernement [….] sont attendus dans la capitale", précise Cyril Payen.
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"Une reprise en main des militaires ?"
Dans ce bras de fer entre deux Thaïlande, l'armée pourrait aussi sortir son épingle du jeu. Plus la situation est volatile, plus "il y a de spéculations sur la reprise en main du pouvoir par les militaires", analyse le correspondant de FRANCE 24. Dans un pays qui a subi pas moins de 17 coups d’État militaire en 50 ans, l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre semble "presque un réflexe naturel", ajoute le journaliste.
Un avis partagé par David Camroux, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et professeur à Sciences-Po Paris , interrogé par
"La Croix". " Pour l’instant, Yingluck Shinawatra a gardé une attitude mesurée […] Mais tout dépendra du comportement qu’elle décidera d’adopter. Elle peut pousser les chemises rouges à manifester. Dans ce cas, on ira sans doute vers un affrontement entre chemises rouges et jaunes, avec une intervention de l’armée. "