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Le web pakistanais est en pleine expansion, la censure aussi

Au Pakistan, l'utilisation d'Internet progresse, notamment grâce à la démocratisation du smartphone. Pourtant, des dizaines de milliers de sites restent interdits aux 30 millions d'internautes recensés l'année dernière.

Cet immeuble décrépi est le point de rendez des jeunes de ce quartier populaire de Lahore, où se sont rendus les envoyés spéciaux de FRANCE 24. L’édifice abrite six cafés Internet, où pour moins d'1 euro de l'heure, les étudiants pakistanais tentent de s'ouvrir des fenêtres sur le monde. Cependant, certaines restent désespérément fermées.

Près de 40 000 sites Internet sont inaccessibles au Pakistan dont certains, comme Youtube, figurent parmi les plus emblématiques du web. La plate-forme de partage de vidéos est non grata dans le pays depuis deux ans. La diffusion de "L'innocence des musulmans", un film ouvertement anti-islam avait alors embrasé le pays.

Une régulation à deux vitesses. Car si de nombreux sites sont frappés d’interdiction en raison de contenus pornographiques ou jugés blasphématoires, les portails fondamentalistes prolifèrent sur le web pakistanais et ne semblent poser aucun problème aux autorités. Ils sont, pour la plupart, libres d'accès sur la toile pakistanaise.

"Ces sites de la haine devraient être bloqués aussi. On y a accès tellement facilement", estime un étudiant au micro de FRANCE 24.

Prosélytisme cybernétique

La plupart des mouvements islamistes au Pakistan ont une cellule Internet. Dans les sous-sols de l’une des mosquées appartenant au plus grand parti religieux du pays, la Jamaat-e-Islami tente de séduire les internautes grâce à son propre parc d’ordinateurs.

"Ça, c'est une déclaration de notre chef que je viens tout juste d'uploader. Voila ce qu'elle dit : ‘le principal motif de notre combat, c'est d'établir un califat islamique au Pakistan’", explique l’un des responsables de cette cellule.

Au Pakistan, 100 millions de personnes ont moins de 25 ans. Ils constituent naturellement le cœur de cible de ces campagnes sur le net.

"Dans notre parti, on a un slogan : ‘c'est la jeunesse qui nous mènera sur le chemin de la révolution’. Nous avons une présence politique et idéologique dans ce pays, et la jeunesse est notre cible principale. Les jeunes amèneront le mouvement au premier plan, et ici, on a l'opportunité de s'adresser à eux", précise Shamsuddin Amjad, responsable médias sociaux de la Jamaat-e-Islami

Blocage Massif

Face à cette "islamisation du web" pakistanais, des activistes de Karachi ont décidé de réagir. Ils dénoncent une censure d'État qui frappe sans nuances les réseaux sociaux. C’est aussi le cas de Facebook, qui a été interdit à de nombreuses reprises dans le pays, notamment suite à la diffusion de caricatures du prophète.

"Facebook est très important au Pakistan, et il existe un accord [entre le réseau social et le gouvernement]. Si les autorités leur demandent de bloquer une page, ils la bloqueront. Vous verrez beaucoup de pages consacrées aux droits de l'Homme qui sont inaccessibles au Pakistan alors qu'elles ne sont pas blasphématoires, qu'elles n'ont rien à voir avec la nudité", déplore Shahzad Ahmad, responsable Pakistan pour l’ONG Bytes For All, qui fédère les actions de ces activistes.

"Ce sont des pages qui établissent des discussions autour de la laïcité ou qui offrent un discours politique alternatif, et elles sont bloquées", poursuit-il.

Un Facebook garanti sans blasphèmes

Dans un quartier résidentiel de Lahore, au fond d’une ruelle, se trouve le quartier général de ceux qui avaient réclamé l'interdiction du célèbre réseau social. Ils sont avocats, ingénieurs, hommes d'affaires, et ont créé un autre Facebook, le seul Facebook musulman au monde.

Ce réseau social autorisé, baptisé Millat Facebook, présente un habillage proche de celui du réseau duquel il s’inspire. Il revendique plus d'un demi-million de membres et garantit à ses utilisateurs un contenu vierge de tout post blasphématoire contre le prophète.

"Millat Facebook est un réseau social fait par des musulmans mais il est ouvert à tous. C'est juste une question de responsabilité, explique son fondateur Omer Zaheer Meer. Quand vous circulez sur la route, vous ne pouvez pas écraser quelqu'un et dire ma liberté est illimitée. Oui, vous avez une liberté, mais aussi longtemps que vous ne violez pas l'espace de quelqu'un d'autre".

Une liberté particulièrement encadrée et surveillée pour les 30 millions d'internautes pakistanais. Derrière ce "pare-feu" se trouve en fait une agence gouvernementale, l'autorité des télécommunications qui, selon les experts, serait totalement entre les mains de la toute puissante armée pakistanaise.