
Contrairement aux Européens, les États-Unis ont décidé de placer, lundi, l’une des plus influentes personnalités russes sur leur liste noire. Igor Setchine est, en effet, considéré comme le deuxième homme le plus puissant de Russie.
Avec Igor Setchine, les États-Unis ont mis, lundi 28 avril, l’un des hommes les plus influents de Russie sur leur liste des 15 personnalités dont les avoirs à l’étranger doivent être gelés. Cette fois-ci, l’administration Obama n’a pas eu envie de se retrouver dans la situation embarrassante de mars dernier. La première vague de sanctions contre des personnalités russes avait provoqué des moqueries à Moscou et des réactions plus que mitigées de la part des observateurs : Washington était accusé de s’en prendre uniquement à des seconds couteaux.
Rien de tel avec Igor Setchine, qui n’est, en revanche, pas visé par les sanctions européennes rendues publiques mardi 29 avril. Le PDG de Rosneft, le plus important producteur de pétrole au monde, est considéré comme un proche parmi les proches de Vladimir Poutine. L’inventaire à la Prévert des surnoms qui lui ont été donnés souligne l’influence de cet homme de 53 ans et de la crainte qu’il inspire en Russie. Il a ainsi été appelé le “Dark Vador russe”, “l’homme le plus effrayant au monde”, le “Richelieu du Kremlin” ou encore le “deuxième homme le plus puissant du pays” (un surnom donné à une époque où Dmitri Medvedev était, pourtant, encore président du pays). Un câble diplomatique américain, rendu public par le site WikiLeaks, expliquait qu’au début du premier mandat de président de Vladimir Poutine, en 2000, Igor Setchine était un homme de l’ombre d’une telle influence “qu’une blague voulait qu’en fait il n’existait pas et qu’il s’agissait d’une sorte de croque-mitaine inventé par le Kremlin pour faire peur”.
Ce natif de Saint-Pétersbourg, comme Vladimir Poutine, appartient au clan des membres des Siloviki, ce petit groupe d’anciens des services de renseignement russes qui ont une énorme influence sur la vie publique du pays. Certains, comme le magazine économique Forbes, le considèrent même comme le maître à penser de cette faction de proches de l’actuel président russe.
Traducteur ou trafiquant d’armes ?
Il doit cette place de choix dans l’appareil d’État russe à “sa loyauté sans faille à Vladimir Poutine”, d’après le secrétariat américain au Trésor. La collaboration des deux hommes remonte aux années 90, lorsqu’Igor Setchine était le chef de cabinet de celui qui n’était alors que premier adjoint au maire de Saint-Pétersbourg. La bonne entente des deux hommes provient, en partie, de leur passé dans les services de renseignement.
Mais si la carrière d’agent secret de Vladimir Poutine est, en partie, connue, le plus grand flou plane quant à celle d’Igor Setchine. On sait simplement qu’il était affecté en Afrique dans les années 80, probablement au Mozambique et en Angola où son travail officiel était celui de traducteur. Cependant, Stratfor, l’une des principales sociétés américaines de renseignement, affirme, dans une note de 2008, qu’il était avant tout le “référent de l’ex-Union soviétique pour tout le trafic d’armes en Amérique Latine et au Moyen-Orient”.
Chef d’entreprise le mieux payé de Russie
L’accession au pouvoir de Vladimir Poutine va lentement propulser Igor Setchine sur le devant de la scène, même si l’homme a longtemps continué à jouer un rôle plus important en coulisse. Ainsi, son influence véritable dans la chute, en 2003, de l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski n’a jamais été clairement définie. L’ancien milliardaire russe, remis en liberté après dix années d'emprisonnement, a toujours accusé Igor Setchine d’être le maître d’œuvre du démantèlement de Ioukos, l’empire pétrolier bâti par Khodorkovski. Les principaux actifs du groupe n’ont-ils pas été transférés à Rosneft, l’autre géant russe de l’or noir, dont le président du conseil d’administration était, à l’époque, Igor Setchine ?
À partir de 2008, Vladimir Poutine décide de s’appuyer plus ouvertement sur son fidèle Igor Setchine et en fait le vice-Premier ministre de son gouvernement. Quatre ans plus tard, il est nommé à la tête de Rosneft. Cet homme, qualifié de travailleur infatigable, capable de convoquer des réunions à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, insuffle “une expansion formidablement rapide du groupe”, d’après le “Financial Times”. C’est lui qui négocie le rachat, pour 55 milliards de dollars (39,6 milliards d’euros), du groupe russo-britannique TNK-BP. Cette acquisition permet à Rosneft de devenir le plus important producteur de pétrole au monde. Elle propulse aussi Igor Setchine tout en haut du classement des chefs d’entreprise russes les mieux payés avec un salaire de 50 millions de dollars en 2013.
La décision de cibler Igor Setchine a, donc, clairement dû être un coup dur pour Vladimir Poutine. Mais, les sanctions risquent de ne pas ébranler économiquement le “roi russe de l’or noir”. Il est, en effet, connu pour n’avoir que très peu placé son argent à l’étranger ce qui rend les fonds hors d’atteinte des autorités américaines. Washington vise, en outre, les actifs de l’homme et non pas ceux de Rosneft. Cette nuance a permis à Igor Setchine d’assurer, dans un communiqué, “que la coopération internationale [avec les partenaires de Rosneft] n’allait pas être affectée”.
* ERRATUM, contrairement à ce qui était écrit dans la première version publiée de cet article, Mikhaïl Khodorkovski a été gracié le 20 décembre 2013 par le président russe Vladimir Poutine et remis en liberté après dix années d'emprisonnement.