Le plan de prévention et de lutte contre les filières djihadistes, présenté mercredi par le gouvernement, n’aura "sans doute aucun effet" estime David Thomson, journaliste à RFI et spécialiste de la question. Entretien.
La France voulait frapper fort. Le ministère de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a présenté, mercredi 23 avril, en conseil des ministres, son plan de lutte contre les filières djihadistes vers la Syrie. Sur les 740 personnes détectées dans ces canaux, selon les chiffres du gouvernement, près de 300 se trouvent aujourd’hui en Syrie, 130 sont en transit et 130 sont de retour après un ou plusieurs séjours dans ce pays en guerre depuis trois ans.
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Pour lutter contre ce phénomène en "hausse accélérée et préoccupante, depuis plusieurs mois", une dizaine de mesures sont ainsi préconisées : un numéro vert pour le signalement et l'écoute des familles ; l’expulsion des étrangers qui participent à "une entreprise terroriste" et la mise en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste des djihadistes qui reviendraient en France. Pour David Thomson, journaliste à Radio France Internationale et auteur de "Les Français djihadistes", ce plan n’aura "aucun effet" mais a le mérite de montrer que le gouvernement "fait quelque chose".
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FRANCE 24 - Pourquoi ce plan ? Y avait-il urgence ?
David Thomson - Le gouvernement s’est rendu compte qu’il s’était laissé totalement submerger par le phénomène du djihad en Syrie. Il a clairement été sous-estimé à partir de 2011, lorsque les départs ont commencé de manière totalement désorganisée. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où il y a 500 Français dans les rangs des factions djihadistes comme L'État islamique en Irak et au Levant ( EEIL) et Jabat al - Nosra . Des journalistes français [les ex-otages libérés le 19 avril, NDLR] ont été détenus par des ressortissants français djihadistes membres de l’EEIL et il y a une quinzaine de mineurs sur place. Nous avons également constaté deux retours en France. L’un d’entre eux, au mois de janvier, avait l’intention de mener des attaques sur le sol français. Le gouvernement tente de montrer qu’il fait quelque chose avec ce plan.
Que pensez-vous des mesures annoncées, notamment de l’interception des ressortissants français dans l’espace Schengen ?
Si on parle de l’espace Schengen [26 pays, NDLR] aujourd’hui, vous avez des Français soupçonnés dans des affaires de terrorisme - trois membres de la cellule "Cannes-Torcy" - qui sont partis en Syrie alors qu’ils étaient recherchés dans une affaire de terrorisme. Une affaire qualifiée comme "l’une des plus graves" de ces dernières années par le procureur de Paris. Vous avez des gens qui partent en famille, des gens qui sont fichés. J’ai rencontré des jeunes qui ont dit pendant un an sur Internet, sur des profils Facebook à leur nom et publics, leur amour pour Mohamed Merah et Oussama Ben Laden. La veille de leur départ, ils ne pensaient pas eux-mêmes pouvoir partir. Finalement, ils sont arrivés en Syrie en toute sécurité. Il n’y a aucune raison pour que cela change aujourd’hui. La France est une démocratie. Elle est juridiquement démunie pour empêcher les jeunes de partir. Les mesures annoncées ne changeront rien à ça. Je connais même des Français qui font les allers-retours entre la France et la Syrie. À aucun moment ils ne sont inquiétés.
Comment expliquer le retard de la France par rapport à ses voisins européens en la matière ?
La France n’a jamais vraiment essayé d’empêcher ce phénomène. Au départ, il y a eu une véritable stratégie des services de renseignements français qui était de laisser ces gens partir en Syrie. Ils se disaient que finalement il valait mieux les laisser aller là-bas pour combattre un ennemi commun, en l’occurrence Bachar al-Assad, plutôt que de les laisser rester sur le sol français avec le risque qu’ils y commettent des attentats. Aujourd’hui, vu les mesures qui sont annoncées et qui n’auront sans doute aucun effet, on se demande si les autorités françaises ne sont pas sur la même ligne qu'avant. Il existe des programmes en Grande-Bretagne ou en Belgique, un pays très touché proportionnellement par le phénomène mais aucun n’a eu le moindre résultat.
Pour vous, ce n'est donc que de la poudre aux yeux ?
C’est de la communication. Il faut montrer que le gouvernement fait quelque chose. En réalité, le gouvernement est aujourd’hui dans une forme de schizophrénie. Si on prend ce qu'il se passe sur Internet, toute la doxa salafiste et djihadiste s’acquière sur le Web, non pas dans les mosquées françaises. Au lendemain de l’affaire Mohamed Merah, il était déjà question d’interdire les forums et les sites djihadistes. D’une part, c’est impossible techniquement puisque ces forums sont hébergés à l’étranger.
D’autre part, même si on arrivait à les interdire aujourd’hui, ça n’aurait aucun effet puisque le djihad médiatique a migré des forums vers les plateformes publiques : Facebook, Instagram Twitter, Ask.fm… Il est impossible de les interdire. Chaque jeune a dix profils Facebook différents, noyés dans la masse. C’est incontrôlable. Même s’il le voulait, le gouvernement ne pourrait juguler ce djihad médiatique mais il ne le veut pas car 80 % des affaires de djihad sont déférées en justice avec des éléments trouvés sur ces sites.
Et la plateforme de signalement sur internet, le numéro vert... ?
Les autorités comblent un vide, parce que la France est l’un des seuls pays où il n’y avait aucune structure d’accueil ou d’écoute pour les familles. Toutes ces familles sont totalement désemparées devant le départ de leurs enfants en Syrie. Elles sont bien souvent les dernières au courant. Dans la totalité des cas que j’ai rencontrés, elles ont tenté en vain de s’opposer au départ de leur fille ou de leur fils en Syrie.
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Le plan du gouvernement français anti-djihadiste