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Vingt ans après la fin de la guerre qui a déchiré l’ex-Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine déterre encore ses morts. À l'automne dernier, dans la campagne de Prijedor, au nord-ouest du pays, le plus grand charnier du conflit a été mis à jour. Près de 400 corps en ont été exhumés, et les fouilles sont loin d’être terminées. Nos reporters sont retournés sur les lieux.

Prijedor. Le nom a souvent été oublié, contrairement à celui de Srebrenica, ville martyre où près de 8 000 Bosniaques ont été massacrés par des milices serbes en juillet 1995, sous le regard impuissant des Casques bleus de l'ONU.

Mais une image de Prijedor est restée dans les mémoires occidentales : celle d’un homme jeune, grand et décharné, torse nu, les côtes apparentes et les yeux hagards, qui tendait la main entre des fils de fer barbelés. Prise en août 1992 à Prijedor, cette photo a fait le tour du monde et alerté la communauté internationale sur le drame qui se déroulait à huis clos dans cette région isolée de l’ex-Yougoslavie.

En quelques mois, entre avril et août 1992, les milices serbes, lancées dans une vaste opération d’épuration ethnique, avaient enfermé plus de 30 000 personnes, majoritairement bosniaques, dans les camps de détention d’Omarska, Keraterm et Trnopolje. La plupart ont été expulsées vers des régions bosniaques, mais plusieurs milliers sont mortes dans les camps. Plus de 3 000 sont toujours portées disparues.

Avant la guerre, les Serbes étaient minoritaires à Prijedor. Ils représentent aujourd’hui près de 90% de la population.

La découverte du charnier de Prijedor, à l'automne 2013, a ravivé le traumatisme d’une guerre que les autorités locales s’appliquent à passer sous silence. D'ailleurs les traces physiques du conflit ont été soigneusement effacées. Le camp de détention d’Omarska est redevenu une mine (exploitée par Arcelor Mittal), celui de Trnopolje abrite aujourd’hui une école, et Keraterm a été transformé en station de lavage pour voitures...

Aucun mémorial public ne rend hommage aux victimes bosniaques de la guerre. Mais une statue en forme d’aigle de Serbie (photo), érigée devant l’ancien camp de Trnopolje, célèbre les "soldats serbes qui ont contribué à l’édification de la nation"….

Dans une région où le nationalisme serbe s’affiche sans complexe, où les enfants et les jeunes adultes sont maintenus dans l’ignorance du conflit, où les pouvoirs publics cultivent le déni, comment les communautés serbes et bosniaques parviennent-elles à cohabiter ? Nous les avons rencontrées.