Alors que les pro-russes gagnent du terrain dans l'Est ukrainien, Kiev appelle la communauté internationale à l'aide. Le géographe Michel Foucher a analysé la situation sur FRANCE 24, en soulignant les intérêts de Moscou dans la région.
Michel Foucher est également diplomate et essayiste. Il est professeur à l'École normale supérieure de Paris-Ulm (depuis 2007) et directeur de la formation à l'Institut des hautes études de défense nationale (depuis 2010). Agrégé de géographie, il a été conseiller du ministre des Affaires étrangères (1997-2002), directeur du Centre d'analyse et de prévision (1999-2002) et ambassadeur de France en Lettonie (2002-2006).
France 24 : Est-ce que dans l’est de l’Ukraine la Russie répète le même scénario qu’en Crimée ?
Michel Foucher : Oui et Non. Sans doute dans l’intention, mais la situation et complètement différente parce que la majorité de la population de Crimée se sentait russe, et ne s’est jamais sentie ukrainienne. Alors que là, on a ce que l’on appelle le bassin du Don, le Donbass, comparable à la Lorraine ou à la Ruhr. Il y a la bas une très forte identité régionale, ces gens se sentent pour la grande majorité d’entre eux ukrainiens, même s’ils parlent le russe. On y trouve beaucoup de familles mixtes également. Des populations qui descendent d’anciens prisonniers du goulag envoyés là-bas en 1945 pour reconstruire précisément cette région industrielle dévastée. Le problème du pouvoir à Moscou, c’est de faire changer ces populations qui veulent rester dans une Ukraine où leur identité seraient mieux prise en compte et respectée, ce qui n’est pas le cas actuellement.
France 24 : Quels est l’objectif de la Russie ?
Michel Foucher : On n'en est pas encore au stade d’une annexion comme en Crimée. Pour l’instant, il y a un calendrier avec plusieurs réunions internationales de prévues. Ce qui se passe sur le terrain vise à peser sur la prochaine réunion à Genève [le 17 avril]. Ensuite viendra le 9 mai, une date tout à fait critique : la célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Qui remet dans les esprits, l’actualité du combat contre le fascisme. C'est-à-dire les gens de Kiev, qui sont présentés comme ça. Tout cela est encore très vif. Encore une fois, il ya des enjeux territoriaux beaucoup plus importants pour le pouvoir russe et notamment le contrôle de villes qui font partie du complexe militaro- industriel de la Russie. À Dniepopetrov, il y a notamment des usines où on fabrique les SS18, les missiles intercontinentaux. À Kharkiv, on fabrique le systèmes de guidage, et à Saporijia, ce sont des éléments d’avions de combats. Il y a donc des objectifs qui sont extrêmement important à terme pour Moscou, qui voudra les contrôler, que ce soit par une annexion violente ou par un système tellement fédéralisé que Kiev ne contrôlerait plus rien. Le but actuel du pouvoir russe est de faire la démonstration que le pouvoir de Kiev ne contrôle plus les oblasts de l’Est et de la côte de la mer Noire, l’autre objectif stratégique du pouvoir russe.
France 24 : Quels risques court la région ?
Michel Foucher : S’il y avait une intervention militaire, ce serait clairement une violation du droit international. Autant il y avait un sentiment russophile en Crimée, autant dans l'Est, il y a un là un sentiment régional en premier lieu. Il faudra donc qu’il y ait de la violence de la part de la Russie pour modifier le comportement de la population et c’est ce qui est le plus grave. Les familles mixtes sont déjà divisées, la société souffre déjà de déchirure, et il y un véritable risque de guerre civile.