Au lendemain d'une action anti-terroriste des forces ukrainiennes à Kharkiv, des pro-Russes occupent toujours les bâtiments administratifs de Louhansk et Donetsk. L’Est de l’Ukraine est désormais le théâtre d'un bras de fer entre Moscou et Kiev.
"J’appelle la Russie à reculer et à ne pas jouer l’escalade de la situation dans l’est de l’Ukraine". Pour Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’Otan, interrogé mardi 8 avril lors d’une conférence de presse à Paris, aucun doute. Derrière l’occupation de plusieurs bâtiments administratifs dans trois villes du sud-est de l’Ukraine, se trouve la main de Moscou. Les États-Unis ont enfoncé le clou en appelant le président russe, Vladimir Poutine, à cesser de "déstabiliser" l'Ukraine, accusant Moscou "d'orchestrer" les manifestations pro-russes dans l'est ukrainien.
Pour Gulliver Cragg, correspondant de FRANCE 24 en Ukraine, de très nombreux indices jettent, en effet, le doute sur la spontanéité de ces manifestations. Le journaliste explique que les protestataires, à chaque fois assez peu nombreux - "environ 2 000" - apparaissent trop bien organisés et procèdent à des actions trop coordonnées "pour être des mouvements populaires qui n’ont pas été préparés". Il rapporte en outre une anecdote éloquente : "Hier, à Kharkiv, la situation était assez grotesque : les manifestants, qui prétendaient habiter la ville, ont manifesté devant le théâtre, qu’ils avaient confondu avec l’Hôtel de Ville. Ils criaient pour demander au maire de sortir… d’un théâtre".
Autodétermination
La tension est brutalement montée d’un cran en Ukraine, dimanche 6 avril au soir, quand des activistes favorables à Moscou ont pris d’assaut plusieurs bâtiments officiels dans les villes de Kharkiv, Lougansk et Donetsk, proches de la frontière russe, pour réclamer la tenue d’un référendum d’autodétermination. À Donetsk, les activistes ont même proclamé la naissance d’une "République populaire" et ont demandé l’aide militaire de la Russie.
Fin février, la Crimée avait connu une situation similaire, qui avait abouti, le 16 mars, à un référendum sur le statut de ce territoire et son rattachement de facto à la Russie. Mais cette fois, les autorités ukrainiennes ont réagi avec fermeté pour éviter que le scénario criméen ne se reproduise. Mardi 8 avril, le ministre de l’Intérieur, Arsen Avakov, a annoncé avoir lancé une opération anti-terroriste pour déloger les activistes pro-russes des bâtiments officiels de Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine. Environ 70 "séparatistes" ont été arrêtés, selon le ministère de l’Intérieur, mais ces groupes séparatistes occupaient toujours de nombreux bâtiments clés, mercredi matin.
À Donetsk et Louhansk, en revanche, les bâtiments des administrations régionales restaient, mardi après-midi, toujours aux mains des pro-russes. "Pour le moment, il n’y a pas eu d’opérations anti-terroristes, explique, depuis Donetsk, Gulliver Cragg. Ici, les autorités de Kiev ont décidé de poursuivre sur le chemin des négociations avec les séparatistes". Des pourparlers auxquels participent, entre autres, le vice-Premier ministre ukrainien Vitali Yarema, et l’oligarque Rinat Akhmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine, qui jouit d’une immense influence à Donetsk.
"Guerre civile"
La réaction de Moscou a, en effet, de quoi faire hésiter Kiev. "Nous appelons à l'arrêt immédiat des préparatifs militaires qui pourraient conduire à l'éclatement d'une guerre civile", a fait savoir le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué, juste après l’opération anti-terroriste à Kharkiv. Une déclaration d’autant plus lourde de menaces que quelque 40 000 soldats russes sont désormais massés le long de la frontière ukrainienne. Et, depuis plusieurs semaines, Vladimir Poutine ne cesse de répéter que la Russie est prête à défendre "par tous les moyens" les populations russophones de l’ex-URSS, en cas de violences.
"Lors de la prise de contrôle de la Crimée par des groupes pro-russes, les autorités civiles et militaires ukrainiennes craignaient, en réagissant, de donner une excuse à la Russie pour engager des actions militaires en Ukraine. C’est exactement ce qu’essaient de faire les Russes en ce moment", estime Robert Parsons, spécialiste de politique internationale pour FRANCE 24.
Pression militaire
"Mais il y a une grande différence entre la situation en Crimée et la situation à l’est de l’Ukraine, poursuit-il. En Crimée, les troupes russes se trouvaient sur place dès le début des troubles [des bases de la marine russe sont installées en Crimée depuis l’époque soviétique, NDLR]. À l’Est, en revanche, il n’y a pas de troupes russes. Il y a certes plusieurs dizaines de milliers de soldats de l’autre côté de la frontière, mais ils ne se trouvent pas précisément sur le sol ukrainien, ils ne peuvent donc pas exercer la même pression sur les autorités ukrainiennes qu’en Crimée".
Les autorités ukrainiennes tracent aujourd’hui "une ligne rouge pour dire : 'C’est ici que nous disons 'stop', si vous manifestez de cette façon, si vous prenez le contrôle des bâtiments administratifs, nous répondrons avec toute la force que nous prodigue la loi'", explique Robert Parsons.
Mais au-delà d’une éventuelle intervention armée, ce que cherche aussi la Russie en agitant le spectre indépendantiste à l’Est, est d’entraver la tenue de l’élection présidentielle ukrainienne, prévue le 25 mai, estime par ailleurs le spécialiste de politique internationale. "Si ce scrutin se concrétise, et s’il se déroule pacifiquement, l’argument des Russes, selon lequel Kiev est dominé par les fascistes dont la seule ambition serait d’opprimer la minorité russe de l’est de l’Ukraine, tombe complètement à l’eau."
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