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Au Liban, une personne sur cinq est désormais un réfugié syrien

Le nombre de réfugiés syriens au Liban a officiellement dépassé, jeudi, un million de personnes selon le HCR. Un drame humanitaire qui frappe de plein fouet l'économie de ce petit pays pour lequel l'ONU a réclamé une aide internationale d'urgence.

C'est désormais officiel. Selon le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), un million de ressortissants syriens ont trouvé refuge au Liban depuis le début de la crise en Syrie, en mars 2011. Un chiffre égal à un quart de la population libanaise, qui vit sur un territoire dépassant à peine les 10 000 km2. À titre de comparaison, à l’échelle de la France, cela équivaudrait à accueillir quelque 16,5 millions réfugiés en l'espace de deux ans.

Ce cap symbolique, qui a été officiellement franchi jeudi 3 avril, inquiète le HCR qui tire la sonnette d’alarme dans un communiqué. L’organisme onusien affirme qu’il enregistre au Liban "quotidiennement 2 500 nouveaux réfugiés, soit plus d'une personne par minute". Pis, "ce flux s'accélère". À ce rythme, fin 2014, le Liban comptera plus d’1,5 million de réfugiés syriens, pour la moitié des enfants, puisqu’aucune perspective de paix à court ou moyen terme n’est actuellement envisagée en Syrie.

Un chiffre inférieur à la réalité

Toutefois, les autorités libanaises et certaines ONG locales estiment de leur côté que ce cap a déjà été atteint il y a plusieurs mois, sachant qu’un nombre très important de réfugiés syriens ne se sont pas inscrits sur les listes de l’ONU.

"Le chiffre réel serait plus proche de 1,7 million de personnes actuellement réfugiées au Liban, soit l’équivalent du tiers de la population du pays, explique à FRANCE 24 Lokman al-Khodor, président de la Coalition des associations caritatives pour l’aide des réfugiés syriens au Liban. "Je pose la question suivante : existe-t-il un pays occidental capable de supporter un tel afflux de réfugiés et un tel poids sur son économie ? Je ne le pense pas. Alors comment un pays aussi petit que le Liban, qui souffre économiquement d’une telle situation, pourrait-il s’en sortir seul ?", s'interroge-t-il.

Une donne également dénoncée par le HCR. "Le Liban accueille la plus importante concentration de réfugiés de toute l'histoire récente. Nous ne pouvons pas le laisser porter seul cette charge", a souligné le chef du HCR, Antonio Guterres, qui a recommandé une aide internationale d'urgence pour le Liban. Ce dernier juge un tel soutien "indispensable pour stopper la dégradation continue de la paix et de la sécurité dans cette société fragile". Alors que l'ONU avait lancé un appel de fonds de 1,37 milliards d’euros pour 2014 pour ce pays, seuls 176,4 millions d’euros (soit 13 % du montant total) ont pour l'heure été perçus, regrette l'organisation onusienne.

"Crise humanitaire majeure"

L'impact sur le Liban, lui-même en proie à de nombreux incidents sécuritaires et à des tensions confessionnelles liées à la crise syrienne, est "immense", selon le HCR. Notamment d'un point de vue économique, avec "un déclin du commerce, du tourisme et des investissements ainsi qu'une augmentation des dépenses publiques".

D'après la Banque mondiale, la crise syrienne a coûté au pays du Cèdre la bagatelle de 1,82 milliard d’euros en perte d'activité en 2013 et menace de faire basculer 170 000 Libanais sous le seuil de pauvreté d'ici la fin de l’année. "La croissance du pays a été divisée par quatre depuis le début de la crise syrienne", précise Selim el-Meddeb, correspondant de FRANCE 24 au Liban.

De son côté, le ministre libanais des Affaires sociales, Rachid Derbés, a appelé "les pays arabes et la communauté internationale à partager ce fardeau sans précédent avec le Liban, avant que cette situation explosive ne prenne des proportions mondiales".

Le temps presse en effet car le pays du Cèdre n’est pas armé pour faire face seul à la crise humanitaire majeure qui se profile. Selon le HCR, quelque 80 000 personnes nécessitent d'urgence des soins de santé, tandis que plus de 650 000 ont besoin d'une aide alimentaire mensuelle pour survivre. Or, au Liban, les services de base sont mis à rude épreuve, de même que les hôpitaux, débordés, et les écoles (le nombre d'enfants syriens en âge d'être scolarisés - 400 000 - est supérieur à celui des enfants libanais dans les écoles publiques), affirme le HCR qui déplore "des ressources qui s'épuisent rapidement et une communauté hôte proche du point de rupture".

"Point de saturation"

Selim el-Meddeb confirme : "Les Libanais ont réservé, au départ, un accueil très généreux aux réfugiés syriens, mais on sent, aujourd’hui, qu’un point de saturation a été atteint, souligne-t-il. On peut d’ailleurs s’étonner que la situation ne se soit pas dégradée étant donné l’ampleur de la crise".

Expulsions, couvre-feux... Un certain de nombre de villes et villages du nord du Liban, qui comptent désormais plus de réfugiés que d’habitants, ont pris des mesures radicales à l’encontre des ressortissants syriens. Cependant, les tensions avec les autorités et la population locale restent relativement limitées. "Malgré les demandes des agences de l’ONU, le Liban refuse d’installer des camps officiels et permanents comme il en existe en Turquie et en Jordanie, car le pays craint de voir se répéter le scénario palestinien", ajoute Selim el-Meddeb.

Et pour cause : outre ce million de réfugiés syriens, le Liban abrite déjà 450 000 réfugiés palestiniens répartis sur une quinzaine de camps. Au début de la guerre civile (1975-1990), ces camps avaient été transformés en enclaves militaires par l’OLP et d’autres organisations palestiniennes au nom de la lutte contre Israël. Un scénario désastreux, qui avait été l’un des détonateurs de la guerre libanaise, que Beyrouth souhaite à tout prix éviter.