
Dans une bande dessinée, l'auteur américain Max Brooks rend hommage au 369e régiment d'infanterie. Constitué d'Afro-Américains, il participa à la Guerre 14-18 aux côtés des Français, avant de tomber dans l'oubli.
"God Damn, let’s go !" (Nom de dieu, allons-y !). C’est avec cette devise, que les Harlem Hellfighters (les combattants de l’enfer d'Harlem) avaient l’habitude de sortir des tranchées pour se jeter dans la fureur des combats. Pendant plus de six mois, d’avril à novembre 1918, ces hommes du 369e régiment d’infanterie, majoritairement composé d’Afro-Américains, ont vaillamment participé à la Première Guerre mondiale. Egalement surnommés Men of Bronze (les hommes de bronze) ou Black Rattlers (les serpents à sonnette noirs), ils ont été décorés de la Croix de guerre française et 171 d’entre eux ont reçu des citations à titre individuel.
Près de cent ans après, leurs incroyables exploits sont pourtant méconnus dans leur pays. Pour réparer cet oubli, le populaire auteur de science fiction Max Brooks, ("World War Z", "Guide de survie en territoire zombie") leur consacre une bande dessinée, "The Harlem Hellfighters", à paraître en anglais le 1er avril. "La première fois que j’ai entendu parler de leur histoire, je devais avoir 11 ans. Un jeune homme qui travaillait pour mes parents (Max Brooks est le fils du célèbre réalisateur Mel Brooks et de l’actrice Anne Bancroft) m’a parlé des Harlem Hellfighters. J’ai été choqué par l’injustice qu’ils ont vécue, encore plus étant donné mon enfance privilégiée dans les quartiers ouest de Los Angeles. Cette histoire ne m’a jamais quitté", raconte Max Brooks à FRANCE 24.
"Ils aspiraient à plus de démocratie"
Dans sa bande dessinée, dont les dessins ont été réalisés par Caanan White, l’écrivain américain retrace le parcours de ces soldats afro-américains, originaires pour beaucoup de New York, depuis leur enrôlement dans l’armée américaine. Alors victimes de la ségrégation, ces jeunes hommes ont pourtant choisi en avril 1917, lors de l’entrée en guerre des États-Unis, de rejoindre l’armée de leur pays. Selon Max Brooks, ils avaient soif de reconnaissance : "Je pense que ces soldats comprenaient vraiment les idéaux de l’Amérique, bien plus que les Blancs. Ces idéaux avaient été créé pour protéger les plus faibles et pour permettre à tous de progresser. Aucun groupe n’en avait plus besoin que les anciens esclaves. Alors quand les États-Unis ont décidé de se battre pour sauvegarder la démocratie dans le monde, ce sont ces Afro-Américains qui se sont sentis les plus concernés".
Ainsi, durant la Grande Guerre environ 380 000 Noirs américains ont fait leur entrée dans l'US Army (200 000 seulement sont partis pour l’Europe). Mais leur intégration n’a pas été des plus faciles. Moins bien équipés et cantonnés à des régiments "de couleur", leur préparation a été chaotique. Déployé en Caroline du Sud dans un camp d’entraînement, le 369e régiment d’infanterie a été victime de réactions très hostiles de la part de la population et d’actes de racisme. En janvier 1918, lors de son arrivée sur le sol français, cette unité américaine a continué à souffrir de la ségrégation en étant relégué à des travaux de manutention ou de ravitaillement. À l’époque, le commandant en chef des forces américaines le General John Pershing ne montrait aucune estime pour ces soldats. Comme le suggère une note secrète adressé aux militaires français, selon lui, les hommes noirs manquent "de conscience civique et professionnel" et sont "une menace constante pour les Américains".
Sous le drapeau français
Mais du côté du camp français, ces craintes n’ont pas été prises au sérieux. Manquant cruellement de troupes fraîches, l’armée du Maréchal Foch a exigé la réquisition de ces militaires venus d’Amérique. Affublés du célèbre casque Adrian des Poilus, les soldats de Harlem ont alors rejoint la 161e division d'infanterie et combattu sous le drapeau bleu-blanc-rouge. "L’Armée française avait eu beaucoup de succès avec ses soldats noirs des colonies. Elle avait utilisé les Africains en première ligne et était très impressionné par leur courage", explique Max Brooks. "Les Français étaient aussi fatigués après tant d’années de guerre. Ils étaient près à prendre n’importe quel homme prêt à tenir un fusil. Ce désespoir a fini par effacer le racisme et pour la première fois les Afro-Américains se sont sentis plus chez eux sur cette terre étrangère que dans leur propre pays".
Enfin considérés d’égal à égal, ils se sont rapidement distingués dans l’enfer des tranchées. Le plus célèbre d’entre eux, Henry Lincoln Johnson, entra dans la légende en mai 1918 en se battant au couteau face à une vingtaine d’Allemands. Il fut le premier Américain à obtenir la Croix de guerre française. Lors de la seconde bataille de la Marne, le régiment a également battu le record de participation des unités américaines avec 191 jours consécutifs passés sur le front. Ces nombreuses actions héroïques valurent à tout le régiment d’être surnommé les Harlem Hellfighters. Ces soldats se rendirent aussi populaire grâce à leur musique, le jazz, qu’ils firent connaître sur le vieux continent. Le lieutenant James Reese Europe, déjà très célèbre à New York, multiplia avec son orchestre les concerts sur les routes de France.
Malgré ces actes de bravoure, le 369e régiment d’infanterie, n’a pas eu le droit à tous les honneurs lors de son retour aux États-Unis. Alors que 1 500 de ces soldats avaient perdu la vie au champ d'honneur (sur un total d'environ 4 500 hommes), le maire de New York n'a pas daigné annuler ses vacances pour venir les saluer, en février 1919, lors de leur parade dans les rues de la ville. Peu à peu, les vaillants "serpents à sonnette" se sont perdus dans les pages de l’histoire des États-Unis. Pour Max Brooks, cet oubli s’explique en partie par un manque d’intérêt pour la guerre 14-18 dans son pays : "La Première Guerre mondiale est largement éclipsée par la Seconde. La plupart des Américains ne connaissent rien sur ce conflit".
En choisissant d’aborder ce sujet à travers une bande dessinée, dont les droits ont déjà été rachetés par Will Smith pour en faire un film, l’auteur de bestsellers espère intéresser les plus jeunes. Avec de nombreux détails et sans concession, le livre "The Harlem Hellfighters" montre crument la réalité des combats. "La Première Guerre mondiale était une guerre de tranchées. Ces jeunes hommes rampaient dans la boue, le sang et parmi les os de leurs amis, jour après jour. (…) C’est une guerre diabolique et on ne peut pas la rendre présentable. Toutes les horreurs doivent être montrées", insiste-t-il. Une guerre sanglante et terrifiante qui n’est pas sans rappeler ses précédents romans sur les zombies : "Je pense que mes histoires parlent avant tout d’être humains qui font face à d’incroyables obstacles. Je pense aussi que les zombies ou d’autres monstres ne peuvent rien nous faire de plus que ce que nous nous sommes déjà infligés".