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"Il faut sauver le soldat Ryan", version 14-18

À l'occasion du centenaire de la Grande Guerre, une dramatique histoire refait surface. Dans une famille anglaise, cinq des six garçons sont morts sur le front. Grâce à l'intervention de la reine, le dernier fils a pu rentrer chez lui vivant.

Dans le célèbre film de Steven Spielberg, "Il faut sauver le soldat Ryan", le capitaine John H. Miller (Tom Hanks) a une mission des plus délicates, juste après le débarquement. Il doit retrouver en plein bocage normand, le soldat James Francis Ryan (Matt Damon), dont les trois frères ont été tués au combat, et le renvoyer chez lui. Ce long-métrage américain n’est qu’une fiction, mais ressemble étrangement à un véritable drame qui a bouleversé une fratrie anglaise trente ans plus tôt, lors de la Première Guerre mondiale.

"C’est à peu près l’histoire de ma famille", raconte ainsi à FRANCE 24, Amanda Nelson, une habitante de Barnard Castle, dans le nord de l’Angleterre. Grâce à des recherches effectuées dans ses archives par le journal local, le "Teesdale Mercury", cette femme a découvert récemment comment son grand-père, Wilfred Smith, un soldat Ryan avant l’heure, est rentré sain et sauf de la guerre.

En 1914, lorsque le conflit éclate, la famille Smith vit dans l’un des quartiers pauvres de la ville. Le père, John, un ramoneur, a eu six garçons avec son épouse Margaret. Tous sans exception se portent volontaires pour se battre. "Les frères Smith étaient patriotes envers leur pays et ils étaient courageux", explique Amanda Nelson.

Mais en septembre 1916, le premier télégramme arrive à Barnard Castle. Robert, âgé de 22 ans, vient d'être tué. Six semaines plus tard, c’est au tour de George Henry, 26 ans, de perdre la vie. La machine funeste est enclenchée. L’été suivant, Frederick, 21 ans, s’effondre également dans une tranchée. En octobre 1917, John William Stout, 37 ans, est lui aussi mortellement touché au cours des combats. Alfred, 30 ans, est finalement le dernier à succomber en juillet 1918.

Une lettre à la reine

Au même moment, Wilfred, le plus jeune des frères Smith, est engagé dans le Royal Flying Corps, le corps aérien de la British Army durant la Première Guerre mondiale, connue pour son fort taux de mortalité. Profondément bouleversés par cette nouvelle, les habitants de Barnard Castle décident alors de tout faire pour le sauver. "C’est une petite ville où tout le monde se connaît. Quand les gens ont vu que les fils se faisaient tuer mois après mois et qu’il n’en restait plus qu’un, ils ont été horrifiés. La femme du vicaire de l’époque, Mme Bircham, a alors écrit à la reine avec l’appui de toute la communauté, pour lui demander d’épargner le seul fils restant".

Comme le relate un article du "Teesdale Mercury" datant de 1918, cette requête a bien été entendue en plus haut lieu à Buckingham Palace. Le secrétaire privé de la reine Mary a répondu personnellement à cette démarche très inhabituelle : "Au nom de la reine, je vous remercie pour votre lettre et je vous demande d’adresser à M. et Mme Smith de Barnard Castle l’expression de la profonde sympathie de sa majesté après la perte de leurs cinq fils. La reine a transmis la demande de M. et Mme Smith concernant leur plus jeune fils auprès des autorités militaires pour qu’ils l’étudient ".

"Ne faites pas de garçons, ils finissent en chair à canon"

Grâce à cette intervention, les Smith n’ont jamais reçu de sixième télégramme. Wilfred est revenu vivant auprès de sa famille, même si pendant le reste de sa vie, il a souffert de problèmes respiratoires en raison des attaques au gaz moutarde. À son retour, c’est toute la ville qui a célébré cette heureuse nouvelle. "La communauté était vraiment heureuse quand ils ont appris qu’il était renvoyé chez lui. Ils ont versé des larmes de joie après tout ce qu’il s’était passé et aussi parce que Margaret venait également de perdre son mari John. En 1923, ils lui ont demandé de déposer la première gerbe de fleurs au mémorial de la guerre de la ville au nom de tous ceux qui sont morts au combat", témoigne l’arrière-petite-fille de Margaret. "Mon arrière-grand-mère était très fière de ses fils qui se sont battus pour leur pays. Elle disait que si elle en avait eu plus, ils seraient aussi partis à la guerre. Mais à la fin de sa vie, elle répétait souvent qu’il fallait mieux ne pas avoir de garçons car ils finissent en chair à canon".

Wilfred a échappé à ce terrible destin. Il a vécu jusqu’à 72 ans et a eu cinq enfants avec sa femme Hannah. Quant à ses frères, leurs corps n’ont pas tous été retrouvés. Robert est enterré au cimetière de Dernancourt dans la Somme tandis qu’Alfred repose dans celui de Terlincthun à Wimille, dans le Pas-de-Calais. Les noms de George Henry, Frederick et John William Smith ont été inscrits respectivement sur les murs des mémoriaux de Thiepval, dans la Somme, de la Porte de Menin, à Ypres, et de Tyne Cot, près de Passendale en Belgique.