Né en Iran, élevé entre la France et le Canada, Mani Soleymanlou s'interroge sur son identité dans son spectacle "Un". Peut-il encore se dire iranien? Avec humour, le comédien répond à ce questionnement dans un monologue autobiographique décapant.
"Je n’aime pas le mot migrant. Je n’ai jamais voulu migrer où que ce soit. J’ai migré malgré moi". Mani Soleymanlou n’apprécie pas les étiquettes et il le fait savoir. Parti enfant de Téhéran où il est né, puis trimballé par ses parents à Paris puis au Canada, ce comédien de 33 ans a changé d’identité à chaque nouveau billet d’avion. "L’Iran, on me l’a arraché. En France, j’étais iranien. À Toronto, j’étais pendant quelques temps un Français-Iranien ensuite Canadien that became Canadian. À Ottawa, j’étais un Torontois-Français-Iranien. À Montréal, je suis un Torontois-Arabe-Iranien qui a vécu en France et à Ottawa. Et aujourd’hui, on me dit ‘eh mon gars t’es Québécois !’ Je ne sais plus”, s’interroge-t-il au début de son spectacle intitulé 'Un" et présenté au Théâtre du Tarmac à Paris, jusqu'au 28 mars.
Depuis quatre ans, de scène en scène, cet artiste raconte, à travers un récit autobiographique et teinté d’autodérision, sa quête identitaire. Pourtant, pendant des années, Mani Soleymanlou ne s'était même pas posé la question. Durant son enfance de l’Europe à l’Amérique, ni son père, un homme d’affaires, ni sa mère, une peintre, ne lui parlait pas de ses origines : "Nos parents ne nous expliquaient rien du tout. Je suis parti vers 2 ou 3 ans, mais je retournais en Iran deux fois par an. On a fait une immigration de luxe, on n’a pas fui dans des camions avec des chameaux. Bien plus tard, ils m’ont expliqué qu’ils étaient partis à cause de la Révolution, puis ensuite de la guerre (contre l’Irak entre 1980 et 1988, NDLR), mais sans rentrer dans les détails".
Suis-je iranien ?
Ce n’est qu’en 2004 à son arrivée à Montréal pour intégrer l’École nationale de Théâtre, que cet Irano-Franco-Canadien s’est retrouvé confronté aux regards des autres et à leurs questions sur ses origines. "Avant que je ne déménage au Québec, tout mon entourage était issu de l’immigration. 80 % de mes amis étaient iraniens, afghans, marocains ou encore ukrainiens. On ne me demandait rien. Le Canada anglais a ce multiculturalisme qui fait de tout le monde un Canadien, contrairement au Québec où ils ont leur propre quête identitaire", explique-t-il à FRANCE 24. "Passé d’un entourage d’immigrants à celui de Québécois de souche a été un clash assez impressionnant". En 2009, Mani Soleymanlou est invité à parler de son pays de naissance lors d’une soirée organisée dans un théâtre montréalais. Sans hésiter, il accepte, mais le comédien se rend très vite compte qu’il n’a rien à dire sur l’Iran. Perturbé par cette prise de conscience, il décide alors d’écrire un texte sur son déracinement et ses identités multiples.
Cette même année, la Révolution verte éclate en Iran pour dénoncer les résultats de l’élection présidentielle. Les images des affrontements dans les rues de Téhéran ou encore de la mort brutale de Neda Agha-Soltan, devenue martyre du mouvement, suscite en lui une profonde remise en question : "Cela m’a fait comprendre que 70 % de la population avait mon âge. Techniquement, j’aurais dû y être aussi. Mais serais-je sorti dans la rue ? Je suis allée à une manifestation à Montréal et au bout d’une demi-heure, je ne me sentais pas à ma place. Les gens se sont mis à chanter des airs iraniens que je ne connaissais pas. Je me suis dit ‘Oh mon dieu, même ici, parmi les Iraniens de la diaspora canadienne’, je ne suis pas à ma place".
Découvrir son identité par soi-même
Un sentiment qu’il n’est pas le seul à partager. À travers "Un", les spectateurs sont nombreux à se replonger dans leurs propres interrogations. Le spectacle a d’ailleurs été traduit en anglais pour pouvoir toucher le plus de monde possible. "C’est une chose qui m’a beaucoup étonné. Je ne pensais pas que je jouerai autant ce spectacle, que je viendrai ici à Paris, que j’irai jusqu’au Yukon dans le nord du Canada ou en Angleterre dans quelques mois. Je réalise que l’Iran et Mani ne sont que des prétextes. Cela me permet de parler de quelque chose de plus large", constate avec fierté le metteur en scène et comédien.
Après quatre ans de représentation, Mani Souleyman n’a cependant toujours pas répondu à sa question. Qui est-il ? "Peu importe. Je pense que la quête est plus importante que la destination", affirme-t-il sans aucune angoisse. Ce citoyen du monde accepte désormais de ne pas être iranien. Il ne se voit pas comme le fruit d’une identité unique mais comme la somme de plusieurs cultures : "Il faut avant tout que je sache qui je suis avant que l’autre me le dise ou me donne la permission de l’être. C’est beaucoup plus complexe que juste le pays d’où tu viens, l’identité se forge de 1000 façons. Il faut le découvrir par soi-même".
Un, Mani Soleymanlou, jusqu'au 28 mars au Théâtre du Tarmac, Paris