Amira Bouraoui est en première ligne de la contestation contre un quatrième mandat du président algérien Abdelaziz Bouteflika. Âgée de 38 ans, cette militante fait partie des fondateurs du mouvement Barakat (ça suffit). Portrait.
Son nom est désormais associé au mouvement Barakat, qui proteste contre le président Abdelaziz Bouteflika, candidat à sa propre succession à un quatrième mandat. Cette jeune gynécologue force l’admiration de ses compagnons de lutte. "Je remercie cette quatrième candidature qui m’a permis de faire la connaissance d’Amira !", sourit avec enthousiasme le journaliste et écrivain algérien Mustapha Benfodil, l’un des porte-parole du mouvement.
Tous deux ont reçu FRANCE 24 dans les modestes locaux de Barakat, situés au cœur de la capitale algérienne, quelques heures après une grande manifestation organisée avec "d’autres citoyens". Après des arrestations en masse lors de précédentes protestations, la militante de 38 ans, née dans le quartier populaire de Bab el-Oued, a exprimé sa joie en constatant que la police n’était pas intervenue. "C’est comme si les autorités algériennes avaient accepté le principe du droit de manifester et de protester pacifiquement", observe-t-elle.
Héritière de Djamila Bouhired
Amira Bouarani ne se considère pas comme une opposante politique. "Je suis une citoyenne algérienne qui s’insurge en raison de l’ampleur de l’injustice et des entorses à la loi et à la Constitution", insiste-t-elle toujours. Amira se définit comme une "Algérienne normale et modeste" et évoque les femmes qui l’ont précédée sur le chemin de la révolution dans l’histoire du pays comme des "héroïnes". Parmi elles : Hassiba Ben Bouali et Djamila Bouhired, figures de la lutte pour l’indépendance, ou encore Kahina, célèbre reine berbère, qui a unifié et régné sur les populations amazighs dans le nord de l’Afrique au VIIe siècle.
Bien que son nom ne soit devenu célèbre que récemment, elle confie avoir connu les arrestations avant son engagement contre la quatrième candidature de Bouteflika. Amira est devenue activiste en 2011 au sein du "comité patriotique pour le changement et la démocratie", fondé dans le sillage des printemps arables par des personnalités indépendantes et des groupes politiques et de défense des droits de l’Homme. Elle souligne qu’elle "ne se bat pas pour la cause des femmes, mais pour la citoyenneté".
"L’espoir de l’Algérie s’est évaporé durant les mandats de Bouteflika"
Pour autant, on peut se demander pourquoi une femme comme elle, libre d’agir et de penser à sa guise, qui exerce dans un hôpital public de la banlieue d’Alger, s’est dressée contre le pouvoir. "Il est vrai que je suis heureuse au quotidien, mais peut-on être heureux quand tout le monde souffre autour ? Ce que nous souhaitons avec le mouvement Barakat, c’est le changement, car le peuple algérien mérite un avenir meilleur et ce régime ne leur est d’aucune utilité", répond-elle simplement.
Amira se souvient avoir vu, en octobre 1988, des blindés de l’armée surgir dans le quartier de son enfance, Bab el-Oued, pour y réprimer les manifestations de jeunes qui ont conduit à l’effondrement du parti unique. Elle avait alors 12 ans. Elle a également vu son pays se déchirer entre islamistes et militaires, entre pro, anti et neutres et petit à petit est née en elle la flamme de la révolution citoyenne, qui s’est exprimée à l’occasion de la dernière candidature de Bouteflika. "Nous avions beaucoup d’espoir pendant les années noires [les années 1990, NDLR], mais depuis 1999 nous n’avons connu que le pouvoir continu de Bouteflika, qui a fait s’évanouir tous nos rêves", se désole-t-elle. "La preuve en est que le seul rêve des jeunes Algériens aujourd’hui est de rejoindre l’Europe malade", poursuit-elle.
Quant à savoir si Amira a réussi à réveiller les consciences des Algériens sur le risque d’un quatrième mandat de Bouteflika, cette dernière est très optimiste. "Personne en Algérie n’acceptera dans les années à venir que l’on contourne la Constitution, et je suis certaine que ce scénario, de l’homme malade qui se présente pour un quatrième mandat, ne se reproduira pas dans mon pays", affirme-t-elle.