logo

Faire redémarrer un État mis en lambeaux, c'est le défi que doit relever le nouveau gouvernement de transition centrafricain. Après un an de violences interconfessionnelles, les fonctionnaires ont abandonné leur poste et les gendarmes ont été forcés de déserter, par peur des représailles. Et pour relever ce défi, il va falloir négocier avec les chefs de guerre et les ex-rebelles.

Début de matinée à Bangui, avant que la chaleur écrasante de cette fin de saison sèche ne s’abatte sur la ville, nous débattons du reportage du jour, lorsque le téléphone sonne. "Je voulais vous dire qu’on vient de déposer trois cadavres devant le bureau d’Air France", l’homme au bout du fil n’en sait pas beaucoup plus…

Nous filons sur place, mais c’est déjà trop tard : tout le monde est parti. On nous apprend qu’il s’agit de trois musulmans du quartier PK-5. Arrivés à la mosquée, nous constatons que la rumeur banguissoise disait vrai : trois corps gisent dans des sacs de plastique blanc, dans le bâtiment qui jouxte la salle de prière. Trois pauvres bougres, qui ont trouvé un taxi pour tenter de quitter ce quartier musulman, dernière enclave dans une ville aujourd’hui presqu’exclusivement chrétienne. Ils ont connu une mort atroce, moins à cause de leur confession, que de leur supposée collaboration avec la Séléka. Cette rébellion à majorité musulmane a pris le pouvoir en mars 2013 et plongé le pays dans le chaos durant dix mois.

De retour dans la rue, les passants musulmans nous interpellent : "Ce sont les anti-balaka!" Les anti-balaka, ce sont les milices chrétiennes. Et c’est toujours la même rengaine : d’exactions en vengeance, la spirale de la violence n’a pas tout à fait fini ses macabres rotations dans la capitale centrafricaine…

C’est toutefois le seul accident de ce type dont nous entendrons parler en un peu plus de dix jours de reportage à Bangui. La capitale semble bien plus calme qu’il y a six semaines. En janvier, on ramassait encore des cadavres tous les matins dans les quartiers. Mais aujourd’hui, la plupart des musulmans ont fui la ville, et si l’insécurité est encore bien présente, un semblant de vie normale a repris.

Dans les quartiers chrétiens, les marchés sont ouverts, les camps de déplacés se vident tout doucement et il y a du monde dans les rues. Pour autant il n’y a pas réellement d’État en Centrafrique. Depuis un an, les violences intercommunautaires ont eu raison de ce qui restait des forces de sécurité et des services publics. Ce sont toujours les hommes des forces africaines (MISCA) et française (Sangaris), qui font la police dans les rues de Bangui, mais on commence à revoir des militaires centrafricains en uniforme aux carrefours et dans les quartiers.

Le gouvernement de transition met le paquet pour que les institutions redémarrent, mais la route est encore longue. Si les uniformes sont neufs, le plus souvent, les gendarmes ne sont pas armés, et il n’y a que cinq voitures pour 2 300 hommes. Difficile de rétablir l’ordre dans ces conditions. Difficile aussi de neutraliser des milices armées, qui tiennent des kilomètres de routes ou font régner leur loi sur des villages entiers.

Seule solution, intégrer les anciens rebelles de tous bords aux forces de sécurité. Mais comment savoir qui est digne de confiance, qui a commis des atrocités ? Avec quels chefs de guerre peut-on négocier ? Une chose est sûre : tous les combattants de Centrafrique veulent une place dans la nouvelle armée du pays.