
Depuis la prise en main du pouvoir par l’armée égyptienne, le 3 juillet, il est devenu de plus en plus difficile de faire entendre des voix dissidentes dans les médias égyptiens sans risquer d'être inquiété. Reportage de Sonia Dridi, correspondante de FRANCE 24 au Caire.
La deuxième audience du procès de trois journalistes de la chaîne satellitaire du Qatar Al-Jazeera International, et de 17 autres personnes tous accusés de soutenir les Frères musulmans du président destitué Mohamed Morsi, a eu lieu mercredi 5 mars en Égypte. Leur crime ? Avoir interviewé des membres de la confrérie, considérée comme une organisation terroriste par les autorités égyptiennes depuis le 25 décembre 2013. La prochaine audience de leur procès a été fixée au 24 mars par la cour criminelle du Caire.
Selon le comité pour la protection des journalistes, la situation de la liberté de la presse en Égypte s'est détériorée de façon alarmante en 2013. Le pouvoir égyptien dit mener une guerre contre le terrorisme, avec le soutien d’une grande partie de la population. Conséquence, depuis la prise en main du pouvoir par l’armée égyptienne, le 3 juillet, il est devenu de plus en plus difficile de faire entendre des voix dissidentes dans les médias égyptiens sans risquer d'être inquiété.
"Il ne ferait jamais rien pour nuire à la sécurité de l'Égypte"
Interrogé par FRANCE 24, Adel, le frère de Mohamed Fahmy, un des journalistes d'Al-Jazeera International, ne pensait pas que l'affaire irait aussi loin. "Il ne ferait jamais rien pour nuire à la sécurité de l'Égypte, il n'y a aucune preuve pour les incriminer, cela ne se fait pas de jouer comme ça avec la vie des gens."
Le frère de Baher Mohamed, un caméraman d'Al-Jazeera qui a été violemment arrêté dans la maison familiale, est du même avis. "On a parlé de libertés après le 25 janvier, dont celle d'expression, alors pourquoi arrêter les journalistes ?". Les deux hommes le savent, leurs frères, qui risquent jusqu'à 15 ans de prison, sont victimes de la rivalité politique entre l'Égypte et la chaîne qatarie, accusée de soutenir les islamistes.
De son côté, le comité de protection des journalistes se bat pour leur libération. "Il y a des atteintes flagrantes des forces de sécurité envers les journalistes, des arrestations au hasard parmi toutes les catégories de journalistes", explique à FRANCE 24, Shaima Abul Khair, représentante du comité. D'après les chiffres de l’organisation, l'Égypte est troisième dans le classement des pays les plus meurtriers pour les journalistes.
Une hostilité envers les journalistes étrangers
Une situation volatile et plus risquée, ressentie par les journalistes étrangers installés dans le pays. "J'ai travaillé avec des journaux locaux indépendants sous Moubarak, et nous avions évidemment des craintes par rapport à la censure, à la réaction négative de l'État mais au final nous étions loin d'être aussi inquiétés qu'aujourd'hui, témoigne Ursula Lindsey, une journaliste américaine qui collabore avec "The New York Times", et qui travaille en Égypte depuis 12 ans. Et d’ajouter : "Il y a clairement moins de liberté d'expression et plus de suspicion et d'hostilité envers les journalistes qu'à n'importe quelle période depuis que je suis ici".
Cette hostilité envers les journalistes étrangers, accusés d'être trop favorables aux islamistes, est en partie véhiculée par les médias, qu'ils soient publics ou privés. Après la destitution des Frères musulmans par l'armée, les médias internationaux ont évoqué un "coup d'État". Une expression qui a déplu à une grande partie de la population.
Hani Farrag, un journaliste de la chaîne "Nile TV", comprend et partage le sentiment d'une bonne partie des Égyptiens. "Les journalistes étrangers sont devenus des personæ non gratæ en Égypte, explique-t-il. Ces derniers ont pris la défense de la légitimité de la confrérie au pouvoir ici en Égypte, alors que c'est la société égyptienne qui a refusé le règne des frères !".
Dans ce contexte de polarisation et de répression, difficile pour les médias de faire entendre des avis contraires. Les autorités égyptiennes refusent pour l'instant de s'exprimer sur le sujet, alors qu’elles ont plusieurs fois réitéré leur engagement à respecter la liberté de la presse. Mais l’ambiguïté demeure dès lors qu’il s’agit pour les journalistes d’interroger des Frères musulmans, bêtes noires du gouvernement.