Au Pakistan, dans la vallée de Swat, Tabassum Adnan a lancé le premier tribunal uniquement composé de femmes. Elles se réunissent pour défendre leurs droits, dans une société où la police refuse encore de prendre les plaintes des femmes.
Dans la vallée de Swat, les femmes ont eu une porte où frapper : celle de Tabassum Adnan. Cette féministe organise des réunions uniques, où ce sont les femmes qui siègent pour rendre la justice tribale, une activité normalement réservée aux hommes.
"Les hommes ne rendent pas des décisions justes envers les femmes. Nous ne recevons jamais les compensations ou les dédommagements que nous méritons. Dans les cas d'héritage, les hommes nous volent tous nos droits. Et tout ça parce qu'en tant que femmes, nous ne sommes jamais impliquées dans le processus de décision", explique à FRANCE 24 Tabassum Adnan.
Tabassum s’est imposée dans la région comme leur seul espoir. "A Swat, personne n'écoute les femmes. Personne ne nous respecte. Pas même la police. Ils nous regardent de haut. C'est pour ça qu'on vient voir Tabassum", témoigne auprès de FRANCE 24 Shahi Bibi, une plaignante venue consulter le conseil des femmes pour un problème d’accès à l’eau dans son village.
Tabassum ne se limite pas aux conflits de voisinage. Elle combat des crimes d’autant plus difficiles à résoudre qu’il sont tabous dans les tribus pakistanaises : les violences conjugales. La féministe est notamment venue en aide à Jaan Bano dont la fille, à peine mariée, a été tuée par sa belle-famille avec de l'acide. Malgré des preuves, les coupables n’ont jamais été arrêtés. Grâce à Tabassum, la police a fini par accepter d’enregistrer la plainte. Une première étape dans un pays où la corruption gangrène les institutions.
Poil à gratter des islamistes
Les démarches de Tabassum ne sont pas du goût des islamistes, particulièrement dans cette région qui fut pendant plusieurs années sous l'influence des Taliban. Entre 2003 et 2009, ils ont régné en maître sur la vallée de Swat, appliquant aveuglément les règles de la charia.
Les femmes ont constitué la principale cible de la "police des mœurs" qu’ils ont instaurée. Forcées à porter la burqa, elles n’avaient plus le droit de sortir de chez elles sans être accompagnées, ni de fréquenter les zones commerciales. Les petites filles ont été privées d’école. Les femmes soupçonnées d'adultères étaient, elles, condamnées à la flagellation. À Mingora, plus grande ville de la vallée, les Taliban exposaient les corps des condamnées sur la place publique.
En 2008, la vallée de Swat a basculé dans la terreur. L’État major a fini par réagir et déclencher l’opération "Tonnerre noir", le 26 avril 2009. En deux mois, 30 000 hommes ont combattu et écrasé les Taliban. Mais les problèmes de la société pakistanaise ont perduré et les fondamentalistes restent puissants aujourd’hui.
"Les Taliban peuvent m'attaquer ; des mollahs ou de simples passants peuvent s'en prendre à moi. J'ai même peur des hommes de mon propre entourage", confie Tabassum. Mais les risques ne l’arrêtent pas et peu à peu, son travail commence à payer. Reconnue par les hommes, Tabassum est désormais conviée à la Jirga, assemblée tribale qui se tient tous les vendredis dans la vallée. Pourtant, tous ne voient pas d’un bon œil cette émancipation en marche des femmes. Dans une société patriarcale, le combat de Tabassum pour l'égalité sera long et semé d’embuches. En 2013, un millier de femmes ont été exécutées au Pakistan dans des "crimes d’honneur", une condamnation pour ne pas avoir respecté la loi des hommes.