Lundi, de nombreux Ukrainiens étaient toujours place de l'Indépendance (Maïdan), épicentre de la révolte, à Kiev. Quelle suite comptent-ils donner à leur mouvement ? Douglas Herbert, envoyé spécial de FRANCE 24, est allé à leur rencontre.
En Ukraine, le pouvoir est désormais entre les mains du Parlement et, à travers lui, du peuple ukrainien. Le ministre de l’Intérieur par intérim a publié un mandat d’arrêt pour "meurtres de masse" contre le président déchu Viktor Ianoukovitch, en fuite depuis vendredi soir.
L’homme choisi pour assurer temporairement la fonction suprême, le président du Parlement, Oleksandre Tourtchinov, a cherché à rassurer ses compatriotes. Dans un discours d'apaisement, il a affirmé que la police et les forces de sécurité, responsables du pire bain de sang de l’Ukraine post-soviétique, ne représentent plus une menace mortelle.
Le temps est-il venu pour les manifestants de Maïdan de mettre fin à leur mouvement ? Faut-il démonter les barricades, enlever les poutres de bois et d’acier, les tentes, les pneus fumants et les immenses tas de débris qui ont transformé le centre-ville carbonisé de Kiev en un tableau post-apocalyptique d’une exposition d’art révolutionnaire ?
Pas si vite.
Depuis trois mois, de nombreux manifestants ont fait de la place de l’Indépendance [Maïdan] leur chez eux. Ils estiment que les changements politiques rapides de ces derniers jours sont les bienvenus, mais qu'ils ne signifient pas la fin de leur veillée permanente.
Ils ne sont pas prêts à laisser les hommes politiques – même les plus sympathiques – décider du moment où il sera l’heure de faire sonner la cloche de leur mouvement révolutionnaire. Ce sont eux qui s’en chargeront. Et la plupart pensent qu’il est bien trop tôt pour le faire. Les nerfs sont toujours à vif après la récente flambée de violence et les rênes du pays sont encore à prendre.
FRANCE 24 a demandé à quelques personnes de Kiev et ses environs s’ils pensaient que le moment était venu d’arrêter la mobilisation et de retourner à la vie "civile".
• "Les jeunes veulent de nouveaux visages"
"Il est trop tôt. Nous ne pouvons pas partir maintenant. Nous sommes encore en train de prier pour nos héros [les victimes de la répression policière]. Il faut s’assurer qu’il ne sont pas morts en vain. Nous voulons vivre dans un pays normal, une société humaine. Lorsque nous aurons vu que toutes ces nouvelles lois [votées ces derniers jours par le Parlement] fonctionnent, peut-être que nous partirons. Ce que je ne veux pas, c’est revoir les mêmes visages au pouvoir. Tous ces leaders de l’opposition sont arrivés tard dans la mobilisation – seulement après l’entrée des étudiants dans la contestation. Nous voulons des gens qui aient une âme. Personnellement, j’aime bien Ioulia Timochenko [leader de la révolution orange de 2004, libérée de prison samedi]. Je pourrais voter pour elle. C’était une très bonne Première ministre. Mais les jeunes ici présents veulent de nouveaux visages. Je ne veux pas aller à l’encontre de la volonté des jeunes générations. Ce sont eux qui nous ont donné cette révolution."
• "Il y a tellement de corruption"
"On ne peut pas juste démonter les barricades. Cela fait trois mois que nous sommes là. Nous sommes venus changer le système politique. Nous voulons voir des résultats : nous voulons voir un État qui fonctionne normalement, sans toute cette corruption. Il y a tellement de corruption. Nous devons savoir que les lois s’appliquent à tous. Cela prendra du temps, nous vivions sous les lois de Ianoukovitch. Je suis prêt à rester plus longtemps ici."
• "Nous ne sommes ni avec l'opposition ni avec le gouvernement"
"Je ne vais nulle part pour l’instant. La fin de Maïdan viendra quand “Mister” Ianoukovitch sera “kaput” [il fait un geste de gorge tranchée]. Il se terre comme un rat quelque part. Mes amis et moi avons organisé le Sotnia [une unité paramilitaire née pendant la révolution ukrainienne dont le nom vient du slave et signifie "centurie"] pour défendre les barricades. Nous sommes le troisième pouvoir. Nous ne sommes ni avec les leaders de l’opposition, ni avec ceux du gouvernement."
• "Il est temps de s'en aller"
"Je pense qu’il est temps que les manifestants s’en aillent. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. Mais je ne suis pas contre Maïdan. Je suis venue ici aujourd’hui avec des étudiants de mon université qui manifestent contre notre recteur, qui a été forcé de démissionner." [un média ukrainien a rapporté que le recteur avait subi des pressions après avoir essayé d’empêcher les étudiants de prendre part aux manifestations de Maïdan]
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