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Grande Guerre : les soldats bengalis de l'armée française tombés dans l'oubli

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, l'Alliance française de Dacca met à l'honneur des soldats bengalis. Une trentaine de volontaires originaires de Chandernagor ont participé aux combats en France.

Alors que les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale viennent de débuter, les manifestations consacrées à cette période se focalisent pour l’instant sur le continent européen. Afin de porter un regard plus international sur le sujet, l’Alliance française de Dacca, au Bangladesh, a décidé d’organiser les 25 et 26 février, un colloque sur la Grande Guerre et les colonies.

Pendant deux jours, quinze historiens, politologues et écrivains du monde entiers vont se retrouver pour débattre notamment du rôle des troupes coloniales dans le conflit. Initiateur de cette conférence, le directeur de l’Alliance française Olivier Litvine estime que ces questions sont encore très méconnues et sensibles. "Je crois que c’est lié à un déni de l’histoire coloniale et possiblement à une attitude ambiguë à l’égard des populations issues des anciennes colonies et de l’immigration", explique-t-il à FRANCE 24. "Du point de vue des ex-pays colonisés, sur le plan psychologique, il me semble que la colonisation est également vécue comme une humiliation. On préfère aller de l’avant".

Le continent indien : un réservoir de troupes

Sur le sous-continent indien, la Grande Guerre a pourtant eu un impact considérable. L’Empire britannique a ainsi mobilisé 1,5 millions de soldats indiens durant le conflit, dont 90 000 ont trouvé la mort. "Au début, ils se sont battus sur le front occidental en France et dans les Flandres, puis après 1915, la majorité d'entre eux ont été envoyés sur le front mésopotamien en Irak, en Arabie et en Palestine. Certains ont aussi combattu à Gallipoli, dans les Dardanelles, en Perse, à Salonique, en Afrique orientale et même en Chine", précise Olivier Litvine.

La France a aussi puisé dans ses quelques possessions indiennes lors de la Première Guerre mondiale. Le pays avait alors cinq comptoirs en Inde : Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Yanaon et Mahé. Afin de renforcer son armée, le gouvernement français a décidé, en décembre 1915, de lancer une campagne de recrutement dans ces territoires asiatiques. "L’Inde est redevable de la France de différentes façons. C’est maintenant le devoir de chaque Indien de se tenir aux côtés de la France durant cette période d’adversité (…) La France n’oubliera jamais ceux qui sont venus vers elle dans ces jours difficiles. La France les traitera comme ses propres enfants. Merci de rejoindre l’armée française", avait justifié à cette période Alfred Martineau, le gouverneur des Indes françaises.

Les volontaires de Chandernagor

À Chandernagor, petite enclave française du Bengale, une trentaine d’hommes ont alors répondu à cet appel du bout du monde. Dans le cadre du colloque de Dhaka, leur compatriote, le lieutenant colonel Muhammad Lutful Haq, s’est intéressé tout spécialement à leur parcours. "Ils étaient des citoyens des Indes Françaises. À l’époque, les Britanniques n’avaient pas ouvert leur recrutement aux Bengalis", décrit ce passionné d’histoire militaire. Au printemps 1916, après des examens médicaux et une sélection, 26 soldats bengalis ont été jugés aptes à rejoindre l’armée française. Le 16 avril, une grande fête est même organisée à Chandernagor pour saluer leur départ pour Pondichéry, où ils ont suivis un entraînement au sein de la 17e compagnie du 11e régiment d’infanterie coloniale. "Ils sont tous en bonne santé. Depuis leur arrivée à Pondichéry, je ne peux que me féliciter de leur service. Ce sont tous de bons jeunes soldats et je n’ai jamais eu à me plaindre d’eux. Sans exagération, ils sont les champions de mon détachement", avait décrit à l’époque leur lieutenant nommé Gillet, selon des documents retrouvés par Muhammad Lutful Haq.

En juin 1916, ces nouvelles recrues sont envoyées en France et débarquent à Toulon, avant de rejoindre des unités d’artillerie. Sur de rares photos prises dans le port français, ils apparaissent fièrement en uniformes, encadrés par des officiers, portant leur paquetage et des masques à gaz autour du cou. D’après Muhammad Lutful Haq, ils ont ensuite combattu à Verdun, en Argonne ou encore à Saint-Mihiel. "Tous ces soldats ont reçu des médailles commémoratives de la Première Guerre mondiale et l’un d’entre eux a même eu la Croix de Guerre pour son incroyable dévouement", précise le lieutenant colonel bengali. "Ils ont servi pendant trois ans et ils sont ensuite rentrés à Chandernagor, à l’exception de Monoranjan Das qui est mort en France des suites d’une maladie". Pendant presque cent ans, ces hommes sont tombés dans un relatif oubli. Grâce au travail de Muhammad Lutful Haq, les 26 volontaires de Chandernagor reprennent leur place dans l'histoire de la Grande Guerre.

Guerre et colonies 1914-1918, du 24 février au 9 mars 2014, La Galerie, Alliance française de Dhaka, Bangladesh. L'exposition photographique est visible en ligne : cliquez ici.