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Ukraine : Moscou agit dans l’ombre et profite de l’impunité

À la demande de la présidence ukrainienne, le Kremlin a dépêché jeudi à Kiev l'ancien diplomate Vladimir Loukine pour participer à une médiation avec l'opposition. L'analyse de Sylvain Attal, rédacteur en chef du site Internet de FRANCE24.

Même si c’est de manière plus discrète que ne le fait l’Union européenne, Moscou semble bien manœuvrer depuis les coulisses en Ukraine, en inspirant le virage répressif de Viktor Ianoukovitch. Catherine Ashton, commissaire européenne aux Affaires étrangères, s’est attirée les critiques russes pour être venue "jeter de l’huile sur le feu" en Ukraine. L’ingérence du Kremlin, sans être aussi voyante, n’est pas moins réelle et, surtout, plus efficace.

Comme le note cet article publié sur le site de la radio allemande " Deutsche Welle", le moment clé a été, fin janvier, le remplacement du chef de l’administration présidentielle ukrainienne par Andrei Klyuïev. Ce dernier, très proche du Kremlin, travaillerait étroitement avec Vladislav Sourkov, conseiller de Vladimir Poutine pour les relations avec les pays de la CEI (anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes). A son arrivée à Kiev, le médiateur russe Vladimir Loukine profitera de ce travail dans l’ombre et pourra se présenter en "casque bleu".
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Par ailleurs, un autre homme d’influence de Poutine, Sergueï Glaziev, aurait eu un rôle très actif ces dernières semaines, en menaçant notamment d’une intervention russe pour faire échec à un plan américain d’armement et de financement de l’opposition. Ces dernières heures, les hommes liges de la Russie en Occident relaient l’offensive médiatique pour discréditer les manifestants de Maïdan et d’ailleurs. Ainsi, par exemple, l’ancien député européen français du Front National ,Yvan Blot a-t-il accusé, sur FRANCE 24, l’opposition d’être à l’origine des tirs à balles réelles dans les rues de Kiev. Le but de la manœuvre est clair. Si les nationalistes ukrainiens, que M. Blot qualifie de "fascistes", ont tiré les premiers, alors, les policiers ont agi, comme ils l’affirment, en état de légitime défense. Et iI ne s’agit plus du coup de répression d’un mouvement citoyen, mais de faire obstacle à un "coup d’État". C’est exactement ce qui est arrivé en Syrie où la prophétie terroriste et islamiste a fini par se réaliser. Et, c’est le message que cherche à faire passer Vladimir Poutine, pour qui il faut à tout prix mettre un terme à une contestation qui s’étend dans le temps et dans l’espace puisqu’elle touche aussi désormais plusieurs villes de l’Est du pays.

Or, s’il est clair que les manifestants disposent d’armes à feu, et parfois d’armes automatiques, le rapport entre le nombre de tués est de l’ordre de deux manifestants pour un policier. Par ailleurs, la thèse d’un armement par les États-Unis, si elle obéit à une logique de communication de Moscou, ne résiste pas à l’analyse. En effet, l’Ukraine est un des pays les plus "armés" au monde : plus de 400 000 armes à feu seraient détenues légalement par des habitants de Kiev et au moins 2,5 millions dans tout le pays. Selon le porte parole de l’association des porteurs d’armes d’Ukraine, qui milite pour le droit de chaque citoyen de porter une arme, en comptant les armes détenues illégalement, on arriverait à 3 millions et demi dans un pays de 45 millions d’habitants ! Ce qui explique comment la situation peut tourner à la guerre civile et au bain de sang sans qu’une intervention extérieure soit nécessaire.

Comment les occidentaux peuvent-ils réagir ?

Vladimir Poutine semble donc décidé à agir vite pour reprendre les choses en main en Ukraine. Le seul mystère reste le choix du moment, en plein milieu des Jeux Olympiques de Sotchi. Mais l’évolution de la situation ne lui a peut-être pas laissé le choix.

Du reste, si l’on veut bien reprendre cette liste, il n’y a là rien de bien surprenant : Prague 1948, Budapest 1956, Prague 1968, Varsovie 1981, Géorgie 2008… (on pourrait aussi ajouter : Damas 2011-20… ), à l’exception de la courte parenthèse de l’éclatement de l’Union soviétique sous Gorbatchev et Eltsine qui permit à une partie du bloc de se rapprocher de l’Europe occidentale, l’histoire moderne n’est qu’une longue suite de tentatives de la Russie pour étendre ou consolider son influence face à l’Occident. Qui, à chaque fois, a laissé faire.

Vladimir Poutine n’a-t-il pas dit lui même que la désintégration de l’Union soviétique était à ses yeux "la plus grande catastrophe stratégique qu’avait connue la Russie" ? Il est clair que depuis qu’il exerce le contrôle à Moscou, il veut arrêter l’hémorragie.
Dans ces conditions, la question qui se pose est : comment doivent réagir les Occidentaux et plus particulièrement l’Union européenne ? Claquer la porte des JO, comme le prône Bernard-Henri Lévy ? Très irréaliste et sans doute sans grand effet durable. Prendre des sanctions économiques contre les dirigeants ukrainiens ?

C’est parfait pour se donner bonne conscience mais cela risque de ne pas être plus efficace que contre la Syrie et serait sans doute le meilleur moyen de jeter encore plus l’Ukraine dans les bras des Russes.

Reste ce que propose Dominique de Villepin. L’ancien ministre français des Affaires étrangères, hostile par principe et par réalisme à toute politique de "changement de régime", considère que "vouloir pousser l’Ukraine à choisir entre l’Europe et la Russie est absurde". Face au risque de "guerre civile inéluctable" et de débordement de l’opposition démocratique par les nationalistes radicaux de Svoboda, il estime qu’il faut reprendre le dialogue stratégique "au plus haut niveau" avec Moscou. Cela prendrait notamment la forme d’une visite conjointe du président français, de la chancelière allemande et du Premier ministre polonais.

Pourquoi pas ? Le dialogue avec la Russie, pays économiquement à bout de souffle est pratiquement au point mort. A condition, bien sûr, que les Européens sachent se montrer fermes et unis, ce qui reste encore à prouver. La dernière option est un retour à la guerre froide. Mais les Occidentaux y sont-ils prêts ?