
Le père Francis Van der Lugt est un jésuite néerlandais qui vit en Syrie depuis près de cinquante ans. Il a choisi de rester dans la vieille ville de Homs, assiégée, et de partager le quotidien des Syriens. Portrait.
Il est un héros pour des milliers de Syriens. Ces dernières semaines, son visage a envahi Facebook : nombreux sont ceux qui ont troqué leur photo de profil habituelle contre un portrait du père Francis van der Lugt, Frans tout court pour la plupart de ceux qui le connaissent. Ses cheveux sont blancs et son visage marqué par l’âge, mais derrière de petites lunettes rectangulaires le regard est vif et rieur. Sous les portraits, les messages de gratitude n’en finissent plus.
À 75 ans, ce jésuite néerlandais a déjà passé près de cinq décennies en Syrie, pays qu’il aime au point de le considérer comme le sien. Depuis deux ans, le religieux vit dans le vieux Homs, un quartier aux mains des rebelles et assiégé par l’armée syrienne. Jusqu’en février 2012, des dizaines de milliers de chrétiens vivaient dans ce quartier, dans la partie de Boustan al-Diwan. Mais la grande majorité d’entre eux ont fui les combats et les violences. Sur les 3 000 civils pris au piège dans cette partie historique de la ville de Homs, seulement 80 environ sont chrétiens.
"Je dois partager la peine du peuple syrien"
Dans le monastère jésuite du quartier de Hamidyeh, où il vit depuis des dizaines d’années, il partage le quotidien de ceux qui y sont restés. Depuis le 7 février, plus de 1 400 civils ont pu être évacués en vertu d’un accord obtenu par l’ONU à Genève entre représentants du régime et de l’opposition. Sur les quelque 80 chrétiens, seuls 35 ont pu sortir.
Bien que la situation soit terrible à Homs, où les habitants livrent un combat quotidien pour se procurer à manger et où la population chrétienne s'est réduite à quelques dizaines d'âmes, l'idée de quitter la ville n'a jamais traversé l'esprit du père Frans. "Je suis à la tête d'un monastère. Comment pourrais-je le quitter? Puis-je abandonner derrière moi les chrétiens? C'est tout à fait impossible, a-t-il expliqué début février à l'AFP. Le peuple syrien m'a tant donné, tant de gentillesse, tant d'inspiration, et tout ce que je possède. Maintenant qu'il souffre, je dois partager sa peine et ses difficultés", ajoute-t-il.
En Février 2012, le père Frans décrit le quotidien des assiégés
"Tant qu’il y aura des personnes dans le besoin dans le quartier, et plus particulièrement des chrétiens, le père Frans ne partira pas", affirme à FRANCE 24 Rana, qui l’a bien connu. Elle fait partie de ceux qui ont eu le temps de fuir, avant que le quartier ne soit réduit à une enclave inaccessible au cœur de Homs. Rana était une habituée des rendez-vous du père Frans, un "être unique d’une générosité rare", décrit la jeune femme, la voix pleine d’émotion.
"Nous aimons la vie ! Nous ne voulons pas mourir dans cet océan de douleur !"
Dans un message vidéo publié sur Internet le 27 janvier dernier, le père Frans lance au monde un appel au secours. On l’y voit assis dans une église, entouré de panneaux jaunes, sur lesquels on peut lire des messages tels que "huit cas de personnes mortes de faim", "100 cas de personnes ayant un besoin urgent d’opérations ", etc. "Nous souffrons de faim et de manque de soins", déplore le prêtre. "Nous aimons la vie ! Nous voulons vivre et non pas mourir dans cet océan de douleur !" Ce n’était pas la première fois qu’il envoyait un message au monde pour le sensibiliser sur le sort des assiégés. Il y a un an déjà, et en français, il avait dit son espoir de voir la situation s’améliorer.
L'appel au secours lancé par le père Frans fin janvier 2014
"Il semble âgé mais son âme est jeune et il a toujours été très dynamique", raconte Rana. Pendant ces deux dernières années, il n’a eu de cesse d’aider les plus démunis autour de lui, chrétiens ou musulmans sans distinction. Un engagement qui est loin de surprendre la jeune femme. "Il n’a jamais fait de différence entre les communautés. Il considère les gens comme des être humains avant tout et accueille tout le monde", souligne-t-elle. Malgré la noirceur de leur quotidien, il a tenu à maintenir un semblant de vie normale : tous les mercredis et les dimanches, comme c’était le cas avant la guerre, il invite les habitants du quartier à se réunir au monastère pour se retrouver, y entendre la messe et y partager un repas frugal mais chaleureux. Des photos de ces rencontres ont régulièrement été postées sur la page Facebook d’un groupe, qui diffuse les nouvelles des assiégés. Frans y apparaît invariablement souriant entouré de ses ouailles. On aperçoit aussi des jeunes filles voilées, comme cela était le cas avant le conflit.
Rana se souvient des célèbres randonnées qu’organisait Frans avant le conflit. "Tout le monde pouvait participer, musulmans, chrétiens, riches et pauvres. Il nous emmenait marcher et découvrir la beauté des paysages de Syrie, se souvient-elle. Il nous invitait à méditer sur l’essentiel. Il est un véritable guide spirituel pour beaucoup", observe-t-elle encore. C’est lui qui a fondé dans les années 1980 al-Ard (la Terre) à une trentaine de kilomètres de Homs, un lieu de retraite spirituelle où se retrouvaient chrétiens et musulmans, et également dédié à l’accueil des handicapés mentaux.
Via Facebook, le père Frans continue de communiquer avec ceux qui le connaissent et qui s’inquiètent pour les assiégés du vieux Homs. À plusieurs reprises, il s’est réjoui de l’expérience unique de fraternité et d’entraide, qui caractérise désormais la vie de la communauté chrétienne encerclée, décelant dans l’extrême adversité une étincelle de joie.