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Forum de Davos : les inégalités, une menace… pour les riches ?

Le fossé entre les riches et les pauvres inquiète… les plus riches. Les inégalités préoccupent désormais le gotha des affaires, réuni cette semaine au Forum de Davos. FRANCE 24 est allé à la rencontre des participants. Reportage.

À l’hôtel Belvédère, haut lieu de la nuit davosienne, les hommes d’affaires déambulent de soirée en soirée. Entre deux coupes de champagne, les cadres en costume cravate échangent leurs cartes de visite avant de plier bagages. Difficile d’imaginer ce beau monde s’inquiéter de la montée des inégalités.

Et pourtant… Dans son rapport annuel sur les risques globaux pour 2014, le Forum économique mondial livre les résultats d’un sondage effectué auprès des participants. Au palmarès des "risques les plus probables pour l'année à venir", les inégalités arrivent en tête.

Des inégalités insoutenables

"Si le fossé entre les riches et les pauvres continue de se creuser, la situation deviendra vite insoutenable" explique Jennifer Blanke, économiste en chef du Forum économique mondial. "Les inégalités de revenus engendrent des conflits sociaux comme on a pu le voir dans les pays émergents, mais également en Grèce et en Espagne, où le chômage des jeunes en particulier a explosé. Et cela inquiète les leaders."

Les 1% les plus fortunés de la population mondiale détiennent désormais près de la moitié des richesses du monde, selon l’ONG britannique Oxfam, qui rappelle dans un rapport publié à la veille du Forum que depuis une vingtaine d’années les inégalités ne cessent de se creuser. “Il y a quelque chose qui ne va pas ! C'est immoral !" a lancé à Davos Winnie Byanyima, présidente de l'ONG. Elle s’exprimait lors d'un panel auquel participait également le milliardaire nigérian Aliko Dangote.

Le Nigeria, exemple criant d’inégalités de revenus, est le pays africain qui compte le plus grand nombre de milliardaires (une vingtaine). Ses revenus, principalement tirés du pétrole, ne profitent qu’à une toute petite élite, alors même que plus de 60% de sa population, soit quelque  100 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté. "En Afrique, les inégalités sont souvent liées à une mauvaise gestion des ressources, des problèmes de gouvernance, voire de corruption", estime Jennifer Blanke. "Mais bien sûr, les inégalités existent partout, pas seulement sur le continent africain".

Les dérives de la finance

Aux États-Unis, les inégalités de revenus ont atteint des niveaux inédits au cours des 20 dernières années. D’après Oxfam, les 1% les plus riches du pays ont confisqué 95 % de la croissance américaine entre 2009 et 2012, tandis que les très pauvres se sont appauvris.

Pour l’ONG, la lutte contre les inégalités va de paire avec la lutte contre les paradis fiscaux, qui bénéficieraient essentiellement au monde de la finance. Un point de vue que partage le journaliste Xavier Harel. "Pendant les Trente Glorieuses, tout le monde bénéficiait de la croissance. Et puis avec la dérégulation de la finance, on a vu une explosion du nombre de riches et de super riches. La finance s’est accaparée la richesse", explique l'auteur du documentaire "Évasion fiscale : le hold-up du siècle".

Mais pour Jennifer Blanke, le problème est plus complexe. "Il n’y a évidemment pas une seule cause, estime l'économiste. Nous sommes bien conscients des dérives de la finance, mais à mon sens, les inégalités sont plus d’ordre structurelles, par exemple assouplir le marché du travail, mieux répartir et exploiter les richesses, une meilleure gouvernance, lutter contre la corruption…"

Partager le gâteau

Prêts à débourser entre 22 000 et 400 000 euros rien que pour leur ticket d’entrée, les participants de Davos entrent sans conteste dans la catégorie des riches, voire des super riches. Ces derniers seraient-ils prêt à partager le gâteau ? “À Davos, on vient faire des affaires, élargir son carnet d’adresses, c’est sûr. Mais cela ne veut pas dire qu’ on est fermé. On vient justement ici, aussi pour échanger des idées, prendre le pouls de la société et la question des inégalités nous concerne” affirme un haut cadre de la société de conseil suisse Booz&Co, qui n'a pas souhaité donner son nom.

Le bouddhiste Matthieu Ricard vient lui aussi régulièrement à Davos. Fondateur de Karuna-Schechen, une association à but non lucratif, il espère récolter des fonds pour ses 130 projets humanitaires, mais aussi pour partager ses idées sur l’altruisme, et la lutte contre les inégalités. “En quelques sortes je viens moi aussi faire des affaires !” s’exclame-t-il en riant. “Je pense quand même que les mentalités changent. Des fois ce que je dis entre par une oreille et ressort par l’autre, mais d’autres fois ça reste ! De plus en plus de chefs d’entreprises veulent travailler de façon plus responsable."

Le pouvoir des consommateurs

“Les hommes d’affaires ne sont pas fous !" sourit Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia. "D’un point de vue pragmatique, ils ont tout intérêt à être plus responsables car le pouvoir des consommateurs a grandi, ils sont plus critiques." Selon Jennifer Blanke, les inégalités sont même une menace pour les affaires, puisqu’elles touchent au pouvoir d’achat. Si la pauvreté s'accroît encore, "qui seront les consommateurs de demain ?" interroge-t-elle. Avant de conclure : "Plus le fossé entre les riches et les pauvres se creusera, plus les tensions sociales seront fortes…Et une société au bord de l’explosion, ce n’est bon pour personne. Y compris pour les plus riches !"