La chute historique du peso par rapport au dollar, jeudi, a créé un choc dans le pays : c’est la plus forte depuis la faillite argentine en 2001. Mais pour les économistes, le gouvernement ne pouvait plus faire autrement.
Du jamais vu en Argentine depuis la faillite du pays en 2001. Le peso a connu, jeudi 23 janvier, sa plus importante chute par rapport au dollar en 13 ans. La devise argentine a perdu jusqu’à 15 % de sa valeur dans la journée, avant de regagner un peu de terrain en fin de journée et finir à 8,01 pesos pour un dollar.
Une dévaluation choc décidée en haut lieu “avec l'objectif d'envoyer des signaux de confiance aux marchés” selon “Le Monde”. Le quotidien économique britannique “Financial Times” y voit, lui, l’amorce d’un tournant stratégique dans la politique économique du gouvernement de Cristina Kirchner, qui avait été, jusque là, de soutenir sa monnaie à tout prix.
Mais pour d’autres, l’Argentine “n’avait en fait plus d'autes options”, assure Francisco Panizza, spécialiste des pays d’Amérique latine à la London School of Economics (LSE). Un choix forcé d’autant plus grave que cette dévaluation ne promet pas, d’après cet économiste, des lendemains qui chantent aux Argentins.
Deux facteurs expliquent, ainsi, pourquoi le pays a été poussé à emprunter cette voie tous azimuts. D’abord, la banque centrale n’a plus les moyens de soutenir le peso face au dollar. Ses réserves en devises étrangères ont littéralement fondu. Elles sont passées de 52 à 29 milliards de dollars en trois ans. Les caisses de cet établissement n’ont plus été aussi vides depuis sept ans. L’institution ne peut plus se permettre de vendre des dollars pour maintenir le taux de change du peso.
Spectre de l’hyper-inflation
Ensuite, l’État “doit absolument réduire l’écart entre le taux de change officiel et celui qui a cours sur le marché parallèle”, explique Francisco Panizza. Il existe, en effet, un taux de change alternatif, baptisé le dollar “blue” (dollar bleu). Un billet vert y vaut actuellement plus de 12 pesos argentins. Les particuliers et les petites entreprises préfèrent donc se tourner vers ce marché noir pour y échanger leurs dollars et échapper au contrôle des changes mis en place par Buenos Aires. La dévaluation vise donc à rendre le marché du dollar “blue” moins attractif.
La baisse du peso peut aussi avoir un autre effet bénéfique. Une monnaie moins chère “devrait donner un coup d’accélérateur aux exportations argentines, ce qui pourrait permettre de faire rentrer des devises étrangères dans les caisses de l’État”, souligne Francisco Panizza. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les “milieux des affaires demandent depuis quelques temps déjà au gouvernement de baisser la valeur du peso par rapport au dollar”, rappelle le "Financial Times".
Mais rien ne garantie que cette dévaluation permettra à coup sûr de remplir ces objectifs. “On ne peut actuellement que l’espérer”, confirme Francisco Panizza. Pour lui, une autre conséquence est, en revanche, certaine : l’accélération de l’inflation. Officiellement, la hausse des prix en 2013 n’a été que de 11 %. Mais la plupart des économistes jugent que le gouvernement minimise le phénomène. D’après les instituts indépendants, l’inflation a plutôt été de 28 % l’an dernier et, avec la récente dévaluation, elle devrait dépasser les 30 % en 2014. “L’économie argentine est très dépendante des importations, notamment d’énergie, et la baisse du peso signifie que les importations, payées en dollars, vont coûter plus chères”, explique Francisco Panizza.
Cette situation risque de réveiller le spectre de l’hyper-inflation en Argentine de la fin des années 1980 - en 1989, l’inflation mensuelle était de 500 % - qui a laissé des traces durables dans le pays. Pour Francisco Panizza, on n’en est pas encore là mais il reconnaît que la “situation est périlleuse”. Et pas seulement pour l'économie. C'est aussi un pari risqué politiquement pour le gouvernement Kirchner, actuellement à la recherche de "crédibilité aux yeux des marchés financiers", rappelle Francisco Panizza. Mais si le pouvoir n'arrive pas à contrôler l'inflation, sa crédibilité aux yeux des Argentins risque d'en pâtir.