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Ukraine : "Les manifestants sont à bout"

Le mouvement de protestation, qui a commencé fin novembre en Ukraine, a pris une tournure dramatique avec la mort de plusieurs militants de l’opposition. Une violence inédite en Ukraine, même au plus fort de la Révolution orange en 2004.

Mercredi 22 janvier, le cœur de Kiev ressemblait à une zone de guerre. Les heurts ont atteint une violence inédite depuis le début de la contestation en Ukraine : cinq militants de l’opposition ont été tués, et 300 autres ont été blessés. Au moins deux des cinq personnes tuées ont "probablement été victimes d’un tireur embusqué", selon des sources médicales. Après deux mois de manifestations pacifiques, le bilan de cette journée est très lourd.

L’opposition était jusqu’alors parvenue à éviter que les manifestations ne dégénèrent. Mais le bras de fer avec le gouvernement, entamé le 21 novembre après une volte-face du président Viktor Ianoukovitch au sujet d’un partenariat avec l’Union européenne, s’est radicalisé. L’apparition d’un blindé, qui s’est, mercredi, frayé un passage entre les cars de police brûlés et s’est avancé vers les manifestants, en est le symbole le plus frappant.

"Les gens sont à bout"

La situation a commencé à se dégrader dimanche, alors que 200 000 personne s’étaient rassemblées place de l’Indépendance. Dans l’après-midi, un groupe de protestataires s’est frontalement opposé aux forces de l’ordre qui gardaient le Parlement. "Cette foule, mobilisée depuis deux mois dans des conditions extrêmes - il fait -10° - est aujourd’hui hors d’elle, explique Annie Daubenton, journaliste et essayiste, spécialiste de l’Ukraine, interrogée par FRANCE 24. Elle a tenté de faire plier le pouvoir par des manifestations pacifistes mais n’a obtenu en retour que des lois liberticides, des fins de non-recevoir. Les gens sont à bout."

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Ukraine : "Les manifestants sont à bout"
Jeudi 16 janvier, le gouvernement a voté, à main levée et en quelques minutes, une série d’amendements restreignant drastiquement la liberté d’expression, d’information et de manifestation. Des lois "incompatibles avec la démocratie, la plupart copiées mot pour mot de lois russes", assure Olexandra Matviichuk, directrice du Centre des libertés civiles qui rassemble des juristes volontaires offrant leurs services aux manifestants.
L ’objectif de ces lois était d’étouffer le mouvement de protestation. La manœuvre a eu l’effet inverse : elle a lui a redonné du souffle. D’autant plus que depuis quelques semaines, la colère des Ukrainiens est alimentée par la multiplication des arrestations sommaires, des disparitions suspectes et des passages à tabac d’opposants et de journalistes critiques à l’égard du gouvernement.
"Un gouvernement criminel"
"Le gouvernement ukrainien est dangereux, criminel. Beaucoup de ses membres ont d’ailleurs du sang sur les mains, commente Annie Daubenton. Ce gouvernement a fait adopter des lois contraires à la Constitution, dans des conditions très floues, il n’est donc démocratiquement plus légitime." Les manifestants, poursuit la journaliste, ont pris le Parlement pour cible "pour tenter de le reconquérir et en faire quelque chose qui ressemblerait à une assemblée parlementaire démocratique". Un geste symbolique, presque désespéré après le vote de ces lois.
Même si la place de l’Indépendance, épicentre de la contestation, est restée relativement calme, les partis d’opposition perdent peu à peu la maîtrise du mouvement - les leaders des trois principaux partis d’opposition ont été hués lors du dernier grand rassemblement - et l’exaspération gagne du terrain. "Au début, les personnes qui allaient à la confrontation avec les forces de l’ordre étaient des éléments d’extrême droite. Aujourd’hui, ils sont rejoints par des gens beaucoup moins radicaux, qui n’en peuvent plus et qui se retrouvent autour de leur ennemi commun qu’est le gouvernement", témoigne Gulliver Cragg, le correspondant de FRANCE 24 à Kiev.
Si les manifestants, sur le terrain, se radicalisent, les forces anti-émeutes ne sont pas en reste. "Quand la police a évacué la place de l’Europe [proche du Parlement, NDLR], j’ai vu de mes propres yeux des manifestants, tombés à terre et n’opposant aucune résistance, se faire tabasser par les forces de l’ordre, sans raison", poursuit Gulliver Cragg.
Sanctions ciblées contre l’Ukraine
Jamais l’Ukraine n’avait connu une telle flambée de violence, même au plus fort de la Révolution orange en 2004. La tournure qu’ont pris les événements a provoqué une avalanche de réactions internationales. Les États-Unis ont annoncé une série de sanctions ciblées, interdisant de visa les personnalités ukrainiennes "impliquées dans les violences". L’Union européenne, après avoir mollement exprimé sa préoccupation en début de journée, a finalement haussé le ton, affirmant "évaluer de possibles actions". La Pologne a quant à elle vivement condamné les choix politiques ukrainiens. "L’Ukraine s’éloigne de l’Union européenne de façon évidente et rien ne semble indiquer qu’elle fera demi-tour", a déclaré, après la mort de cinq manifestants, Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères, fustigeant la "kleptocratie et la répression en Ukraine", et appelant à des "sanctions ciblées de l’Union européenne".
Aujourd’hui, cependant, un élément reste porteur d’espoir selon Annie Daubenton : quelques députés du parti des régions, le parti au pouvoir, commencent à déserter les rangs, en signe de protestation. "Récemment, rapporte la journaliste, plusieurs députés ont lâché le parti et ont demandé pardon au peuple ukrainien".