
Bercy a décidé, dimanche, de retirer Jersey et les Bermudes de sa liste noire des paradis fiscaux. Une décision qui peut étonner mais relève, d’après l’ONG Tax Justice Network, de la "diplomatie fiscale" consubstantielle du principe de liste noire.
Un petit tour et puis s’en vont. Six mois après avoir été inscrits sur les listes des États et territoires non coopératifs en matière d’échange de renseignements - donc des paradis fiscaux - Jersey et les Bermudes viennent d’en être retirés. Bercy a décidé, dimanche 19 janvier, de rendre à ces deux territoires britanniques leur respectabilité fiscale, du moins aux yeux des autorités françaises.
Cette décision peut étonner. “Jersey et les Bermudes sont deux places importantes pour la finance internationale avec des règles qui favorisent l’opacité des flux financiers”, explique Markus Meinzer, l’un des principaux analystes de Tax Justice Network, une ONG spécialisée dans la lutte contre l’évasion fiscale. Pour lui, la décision française est “prématurée” et les deux territoires britanniques restent des destinations privilégiées pour les montages fiscaux douteux.
Il rappelle que Jersey est ainsi spécialisé dans la création de trusts, ces entités juridiques qui permettent de masquer l’identité véritable des propriétaires d’un compte. Quant aux Bermudes, c’est le plus grand centre au monde de “captives d'assurance”, créées par des grands groupes pour couvrir les risques qu’ils prennent. En pratique, comme il n’existe pas de prélèvements fiscaux sur ces structures aux Bermudes, les multinationales peuvent y transférer une partie de leur profit à l’abri du fisc.
Pour Bercy, ces deux territoires se seraient transformés en bonnes élèves de la coopération fiscale ces derniers mois. “Les services du contrôle fiscal sont formels, Jersey et les Bermudes évoluent. Les dossiers bloqués depuis des années ont abouti”, a indiqué le ministère de l’Économie et des Finances au quotidien “Le Monde”. Une quarantaine de dossiers ont ainsi, d’après les services de l’État, pu être relancés dans le cadre de procédures d’entraide administrative. En clair, le fisc aurait, après des années d’attente, enfin reçu des réponses à des demandes d’information sur certains comptes.
"Incitations perverses"
Pour Markus Meinzer, ce passage éclair de Jersey et des Bermudes dans la ligne de mire du fisc français est l’exemple type de la “diplomatie fiscale” et des limites des systèmes de listes noires. “L’inscription sur la liste est, en fait, une manière de faire pression sur ces territoires. Lorsque l’administration obtient de leur part une coopération sur certains dossiers, elle décide en échange de les délister, ce qui envoie un drôle de signal”, analyse cet expert. Rien n’empêche ensuite, d’après lui, lesdits paradis fiscaux de revenir à une plus grande opacité. Bercy en est conscient et assure que la sortie de la liste ne signifie pas pour autant que le fisc ne s’intéressera plus aux flux financiers vers ces territoires.
Outre ce risque de récidive, Markus Meinzer craint également que cette décision ne “crée des incitations perverses et contre-productives”. D’autres pays toujours sur la liste noire* pourraient, d’après lui, s’inspirer du cas de Jersey et des Bermudes pour s’engager dans une coopération purement ponctuelle avec le fisc français dans l’espoir de regagner une certaine respectabilité internationale.
En somme, pour lui, l’exemple de Jersey et des Bermudes démontre à quel point les listes noires sont des solutions à “court terme” dans la lutte contre les paradis fiscaux. Reste que ces systèmes, aussi imparfaits soient-il, ont au moins le mérite d’exister alors que, rappelle Markus Meinzer, certains pays “comme l’Allemagne n’ont toujours pas mis en place leur propre liste noire malgré des engagements en la matière”.
* Actuellement, les Iles Vierges britanniques, Brunei, Montserrat, le Botswana, le Guatemala, Nauru, les Iles Marshall et Niue y figurent encore.