logo

À l'étranger, les études des Gabonais menacées par les retards de bourses
En France, en Russie ou bien encore en Belgique, des étudiants gabonais dénoncent des retards dans le paiement de leurs bourses, mettant en péril leurs études. Si le président gabonais avait annoncé mi-juillet la suspension des allocations étudiantes dans plusieurs pays occidentaux pour lutter contre la "fuite des cerveaux", cette réforme ne devait concerner que les futurs bénéficiaires.
Des Gabonais manifestent pour le paiement des bourses étudiantes près de l'ambassade du Gabon, à Paris, le 19 septembre 2025. © Collectif des étudiants gabonais boursiers à l’étranger

Depuis plusieurs semaines, Claude* vit au jour le jour, contraint de "jongler avec les dépenses". Jeune Gabonais, étudiant ingénieur dans le nord de la France, il n’a pas perçu sa bourse depuis deux mois et se retrouve confronté à des équations financières insolubles.

"Je suis à découvert sur mon compte et je n’ai pas encore payé les frais de scolarité", déplore-t-il. "Avec la rentrée scolaire, il y a beaucoup de dépenses que je ne peux pas honorer. Hier, j’avais de quoi manger mais pas d’argent pour payer le trajet. Alors je fais quoi ? Je marche ? Et demain ? Comment je vais tenir ?", s’interroge le jeune homme.

La situation de Claude est loin d’être une exception. "Dans d’autres pays, certains attendent depuis cinq mois. Nous sommes tous concernés par ce problème", alerte Alain*, membre du Collectif des étudiants gabonais boursiers à l’étranger.

L’association a publié début septembre sur les réseaux sociaux un appel à l’aide, adressé au président Brice Clotaire Oligui Nguema. "Beaucoup d’entre nous vivent dans l’angoisse permanente de l’expulsion, du décrochage académique et du burn-out", peut-on lire dans cette tribune signée par des étudiants gabonais de France, du Maroc, de Belgique, d’Espagne et de Russie. 

Agence en crise

Les retards de paiement sont loin d’être une problématique nouvelle pour les boursiers gabonais. En janvier dernier, une manifestation au siège de l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG) à Libreville, après quatre mois d’interruption de paiement, a dégénéré en violences. Dans d’autres pays comme le Sénégal et le Maroc, des étudiants gabonais ont alerté à plusieurs reprises sur des retards chroniques et injustifiés de paiement de leurs bourses, qui menaçaient la poursuite de leurs études.

"Depuis très longtemps, les étudiants gabonais sont confrontés à ce problème. Et malheureusement, la situation ne s’améliore pas", déplore Alain.

Des difficultés chroniques qui seraient liées à une forte hausse du nombre de boursiers mais aussi à de graves dysfonctionnements au sein de l'agence gouvernementale chargée de gérer les dossiers. Depuis la création de l'ANBG en 2011, le nombre de bénéficiaires est passé de 11 000 à près de 30 000, selon les statistiques internes. Entre 4 000 et 5 000 d’entre eux étudient à l’étranger. 

Pour gérer cette forte augmentation des demandes et moderniser l'agence, l'ANBG a procédé ces dernières années à des recrutements massifs. Mais une partie de ces embauches n'aurait pas été budgétisée, rendant impossible le paiement des salaires et provoquant une grogne sociale au sein même de l'agence.

Changement radical de politique

Frileuse à s’exprimer sur la situation délicate de ses finances, l'ANGB a néanmoins reconnu à plusieurs reprises des difficultés, évoquant un "budget contraint" et des "priorités financières à gérer". Une nouvelle directrice a été nommée en juin pour corriger le tir.

Mais certains étudiants ont depuis longtemps perdu patience. "L’ANBG nous répète toujours la même chose, ils ont un problème de trésorerie, ça va arriver... Ils se foutent de nous !", s’agace Patrice*. Étudiant ingénieur dans la région de l’Oural, en Russie, le jeune homme explique ne rien avoir touché depuis cinq mois, comme ses compatriotes gabonais dans le pays avec qui il partage un groupe de discussion. Lui considère que la seule responsable est l’agence, dont il fustige la "nonchalance" et le manque de "professionnalisme".

D’autres s’interrogent sur le rôle potentiel du gouvernement dans cette crise. "J’ai du mal à ne pas faire le lien avec les récentes déclarations du président", analyse pour sa part Claude. Car depuis son arrivée au pouvoir, à la faveur d’un coup d’État militaire contre Ali Bongo, Brice Oligui Nguema martèle son souhait de voir les Gabonais de l’étranger rentrer au pays.

Mi-juillet, lors d’une visite aux étudiants de la diaspora gabonaise à Washington, il a annoncé la fin de l’attribution des bourses dans plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis, le Canada et la France.

"Les études coûtent cher (…) et ceux qui viennent ici ne reviennent jamais", expliquait-il alors devant une audience médusée, précisant que les bourses seraient désormais orientées vers des destinations africaines, moins coûteuses, et d’où les étudiants seraient, selon lui, plus susceptibles de rentrer au pays.

Après ces annonces fracassantes du président, l’ANBG a précisé que ces changements ne concerneraient pas les "étudiants boursiers actuellement en formation en Europe, en Amérique, en Asie ou ailleurs".

Claude y voit tout de même un "mauvais signal". "On peut comprendre qu’il veuille réduire le nombre de bourses pour des raisons budgétaires. Mais les étudiants gabonais doivent continuer à avoir accès aux meilleures formations dans leurs filières", souligne-t-il. "C’est facile de dire que les jeunes partent et ne veulent pas revenir, mais la réalité est qu’ils trouvent souvent de meilleures perspectives à l’étranger qu’au Gabon. Pour mener une politique de souveraineté nationale, il faut s’en donner les moyens."

Pour l’heure, les étudiants gabonais continuent le combat pour se faire entendre, espérant que l’approche des élections législatives jouera en leur faveur.

Le 19 septembre, ils ont organisé une manifestation devant l’ambassade du Gabon à Paris. "On nous a promis qu’une solution rapide allait être trouvée", explique alors Alain, présent au rassemblement. "Mais nous savons déjà que cette situation va se reproduire et que nous allons à nouveau devoir nous battre pour le respect de nos droits", déplore-t-il. "C’est cette crainte, ce poids permanent, qui est le plus dur à vivre."

Contactés par France 24, l’ANBG et le gouvernement gabonais n’ont pas répondu à nos demandes d’interviews.

* Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interrogées.