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Hery Rajaonarimampianina, un président "prête-nom" ?

Le nouveau président malgache accède à ses fonctions avec la réputation d'un technocrate discret à même d’enclencher la relance économique. Mais il devra prouver qu'il ne sert pas de "prête nom" à l’ex-homme fort de la Transition, Andry Rajoelina.

À Antananarivo, on goûte difficilement la comparaison. Après l’annonce, vendredi 17 janvier, de la validation par la Cour électorale spéciale de l’élection d’Hery Rajaonarimampianina à la présidentielle, certains médias français n’ont pu s’empêcher de voir dans le style du nouveau chef de l’État malgache une similitude avec l’actuel locataire de l’Élysée, François Hollande. Les deux hommes partagent en effet les sobres costumes-cravates, les lunettes sans monture et l’allure bonhomme…

L’analogie, toutefois, s’arrête au physique. Contrairement à son homologue français, "Hery", comme l’appellent simplement ses compatriotes, arrive à la présidence en quasi-inconnu de la vie publique. Cet expert-comptable de 55 ans, franc-maçon, protestant issu de l’élite merina des Hauts-Plateaux, a fait son entrée dans l’arène politique sur le tard. En 2009 plus précisément, lorsqu’Andry Rajoelina, alors président du régime non élu de la Transition, lui confie les clés du ministère des Finances et du Budget. Poste grâce auquel il a su gagner l’estime des diplomates étrangers, qui attribuent à son action la fragile résistance d’une économie malgache privée d’aides internationales.

"L’inconnu fait un peu peur"

Jean-Louis Robinson conteste toujours les résultats

Quelques heures seulement après que la Cour électorale spéciale (CES) eut rejeté, vendredi 17 janvier, sa requête en annulation, le perdant Jean-Louis Robinson, candidat soutenu par Marc Ravalomanana, a réitéré ses accusations de "fraudes massives".

"Nous contestons ce résultat car aucune de nos requêtes n'a été reçue. On a dit qu'il n'y a pas de preuves, alors que nous avons donné beaucoup de preuves. Ce résultat a été publié à la va-vite", a-t-il indiqué à la presse vendredi.

Face au risque d'une nouvelle crise, l'ambassadeur de l'Union européenne à Madagascar, Leonidas Tezapsidis, a immédiatement lancé une mise en garde : "On ne peut qu'exhorter tous les acteurs politiques, le président élu et le candidat arrivé deuxième, et tous les acteurs politiques, à agir dans le calme et à accepter les résultats de cette élection présidentielle".

Avec AFP

Aujourd’hui porté à la tête de l’État avec 53,49 % des voix - contre 46,51 % pour Jean-Louis Robinson, son adversaire adoubé par le président déchu Marc Ravalomanana (voir encadré) -, l’ancien grand argentier de la Transition a la lourde tâche de faire davantage que maintenir les finances de la Grande-Île à flot. "Hery Rajaonarimampianina s’est donné trois priorités : rétablir l’État de droit, relancer l’économie et lutter contre la pauvreté. Il a de bons atouts pour mener sa mission mais on ignore ce qu’il vaut sur le plan politique. Et, à Madagascar, l’inconnu fait un peu peur", indique la juriste et politologue Ketakandriana Rafitoson à FRANCE 24.

Empêtré dans une grave crise politique depuis près de cinq ans, le pays reste traversé par de vives tensions internes. "Paradoxalement, ce nouveau président venant des Hauts-Plateaux a été bien élu dans les régions côtières, observe Jean-Loup Vivier, avocat et auteur de "Madagascar, une île à la dérive". Être un Merina qui a bénéficié du vote côtier constitue un avantage, car il peut se poser en rassembleur."

"Adoubé démocratiquement"

Reste le volet économique. Mise au ban des nations après le renversement de Marc Ravalomanana en 2009, Madagascar est secouée par une profonde crise économique que la fuite des investisseurs étrangers et la suspension de l'aide internationale n’ont fait qu’amplifier. Mais le curriculum du nouveau président suffira-t-il à sortir l’île de l’ornière ? "Hery a une formation d’expert-comptable et fut ministre des Finances, mais économie et finances sont deux choses différentes", estime Jean-Loup Vivier. "Sa réussite tiendra de sa capacité à retisser des liens avec les partenaires étrangers", analyse pour sa part Ketakandriana Rafitoson.

Au centre des préoccupations : la capacité d’Hery à se rapprocher des États-Unis, et permettre aux entrepreneurs malgaches de bénéficier de l’African Growth Opportunity Act (AGOA), soit des avantages commerciaux pour les produits exportés sur le territoire américain. Un accord pourvoyeur d’emplois dont Madagascar est privée depuis 2009. "Maintenant qu’un président a été adoubé démocratiquement, qu’il a passé l’obstacle des urnes, le pays peut reprendre langue avec la communauté internationale", commente Jean-Loup Vivier. D’autant qu'elle semble bien disposée à se tourner de nouveau vers Antananarivo. "Le fait que l’Union européenne juge le déroulement des élections crédible marque une volonté de tourner la page", interprète l’avocat.

Un accord à la Poutine-Medvedev ?

Mais pour avoir l’oreille des bailleurs de fonds, Hery devra surtout prouver qu’il n’est pas ce président "prête-nom", que nombre d’observateurs croient voir en lui. Officiellement soutenu par un Andry Rajoelina, empêché de se présenter à la présidentielle sous la pression de la communauté internationale, le chef de l’État élu a largement profité de la force de frappe électorale de son parrain politique pour remporter le scrutin.

Un soutien appuyé qui, pour beaucoup, trahit la volonté de l’ex-président de la Transition de revenir aux affaires par des moyens détournés. D’après les résultats provisoires des législatives - qui se sont tenues en même temps que la présidentielle -, les partis proches d’Andry Rajoelina disposeraient suffisamment de sièges dans la future Assemblée pour le nommer Premier ministre. "On peut penser qu’il y a eu une sorte de marché à la Poutine-Medvedev, veut croire Jean-Loup Vivier. Mais s’il existe un lien entre les deux hommes, ce n’est pas forcément un lien de servitude."

"Continuation déguisée de la Transition"

D’autant que la nomination d’Andry Rajoelina à la tête du gouvernement risque d’être perçue par les Malgaches au mieux comme la continuation déguisée de la Transition, au pire comme la prolongation de cinq années de crise. Et conforterait considérablement le camp de Marc Ravalomanana dans son opposition au nouveau régime.

"Dans un premier temps, il y aura un renvoi d’ascenseur. Hery devra se conformer aux consignes du camp Rajoelina. Mais rien n’indique qu’il ne voudra pas ensuite se démarquer, affirme Ketakandriana Rafitoson. Ce n’est pas très bon pour son image de s’accrocher à cette période de la Transition. Il peut nommer Rajoelina Premier ministre, mais il n’est pas impossible que d’ici six mois, il change de stratégie. Tout est possible à Madagascar."