Le grand oral du président doit lui permettre de préciser mardi les contours de son "pacte de responsabilité" avec le patronat. Cette nouvelle initiative pour l’emploi est-elle la preuve d’un tournant libéral du quinquennat ? Explications.
L’heure de la clarification approche. Le troisième grand oral de François Hollande, mardi 14 janvier, devait servir au président à préciser sa politique économique pour le reste du quinquennat. Mais sa supposée liaison avec une actrice française parasitera sans doute les annonces qu’il avait prévues de faire devant les 600 journalistes conviés à cette grand-messe politique.
Reste qu’à l’heure où les résultats concrets sur le front du chômage se font attendre, que la côte de popularité de François Hollande se maintient à des niveaux historiquement bas (28%) et que les signes de reprise économique en Europe se multiplient, le président français aura à cœur de reprendre l’initiative.
Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre, il avait déjà annoncé sa volonté de conclure un “pacte de responsabilité” avec le patronat. Un grand dessein encore flou qui implique une baisse des charges sociales contre l’engagement des entreprises à créer des emplois. À François Hollande d’en préciser maintenant les contours. Revue de détail des enjeux d’un grand oral qualifié par certains d’”An I” d’une présidence “sociale-liberale”.
L’inversion de la courbe du chômage ? Il y tient. Depuis le début de son quinquennat, François Hollande a martelé que la courbe du chômage serait inversée à la fin de 2013. La France sera bientôt fixée : les chiffres de l’emploi en décembre 2013 doivent être rendu public le 26 janvier 2014.
Alors que cette échéance approche, le président va-t-il, mardi, poursuivre sur la voie de l’optimisme ? “Le gouvernement a mis le paquet sur les contrats aidés, donc il est possible que le nombre de chômeurs ait baissé en décembre”, reconnaît Éric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Mais cette baisse “ponctuelle” n’est pas synonyme d’inversion de la courbe du chômage. “Pour y arriver, il faudrait que le secteur privé créé plus d’emplois qu’il n’en détruit et avec le taux de croissance en 2013 et celui anticipé en 2014 (entre 0,8% et 1,3%) ça n’est pas encore le cas”, souligne le spécialiste.
Une baisse des charges, mais à quel point ? Pour relancer l’emploi dans le secteur privé, le président a une idée : baisser les charges qui pèsent sur les entreprises et leur demander, en échange, de recruter. Mais quelle sera l’ampleur de cette baisse ? François Hollande ne l’a pas encore révélée et d’après “Les Échos”, il ne devrait pas non plus le faire lors de son grand oral devant la presse.
Le Medef, lui, a déjà annoncé la couleur. Pour son patron, Pierre Gattaz, les entreprises pourront créer 1 million d’emplois d’ici 2017 en contrepartie d’une baisse des charges de 100 milliards d’euros. Une somme considérable, qui, cependant, semble réaliste à Pascal de Lima, chef économiste au cabinet de conseil EconomiCell : “Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) représente déjà 20 milliards d’euros de baisse de charges, si on y ajoute un rabotage des niches fiscales, une petite hausse de la TVA, des coupes dans les dépenses publiques et le retour à la croissance, le compte devrait être bon”.
D’autres sont moins enthousiastes au sujet de la proposition patronale. “Transférer le poids de 100 milliards d’euros de charge des entreprises vers les ménages [à travers des hausses de taxes et des baisses d’aides, NDLR] aura un fort impact négatif sur la demande et la consommation”, prévient Éric Heyer. Cet économiste est davantage séduit par une autre piste évoquée par la presse : un cadeau fiscal de 35 milliards d’euros qui correspond aux cotisations familiales payés par les entreprises. “Sur le plan philosophique, c’est plus logique car il peut paraître curieux que seuls les salariés paient aujourd’hui des cotisations qui servent ensuite à verser des prestations familiales à tout le monde qu’on soit salarié, chômeurs, jeunes ou à la retraite”, explique Éric Heyer.
Peut-on obliger les entreprises à recruter ? “C’est le point le plus épineux du ‘pacte de responsabilité’ que François Hollande veut mettre en place”, reconnaît Pascal de Lima. Les précédentes baisses de charges salariales ne se sont jamais traduites par des vagues d’embauches, rappelle cet économiste.
“Je ne sais pas comment François Hollande pourrait pousser les entreprises à recruter”, confirme Éric Heyer. La mise en place d’une loi contraignante ne lui semble pas efficace. “Il faudrait des gens, ensuite, pour contrôler son application et la France a vraiment trop peu d’inspecteurs du travail pour assurer correctement une telle tâche”, souligne-t-il.
Un “pacte de responsabilité” pour être plus compétitif ? C’est le grand enjeu de l’accord voulu par François Hollande : donner aux entreprises un bol d’air fiscal pour être plus compétitives face à la concurrence internationale.
Mais pour que la baisse des charges améliore la compétitivité des entreprises françaises, il y a deux conditions sur lesquelles le gouvernement n’a que peu d’influence. D’abord, les entreprises doivent jouer le jeu. “Leurs marges se sont beaucoup dégradées et les entreprises vont être tentées d’utiliser ce cadeau fiscal pour les restaurer au lieu de le répercuter sur les prix hors taxe”, prévient Éric Heyer. Dans ce scénario, la baisse des charges sera un beau cadeau aux actionnaires mais sans réel impact sur la compétitivité.
Par ailleurs, il faut aussi que les autres pays et entreprises étrangères restent les bras croisés face à l’offensive française. “Le problème, c’est que tous les pays européens sont engagés dans des politiques de baisse des charges et il y a donc un risque fort que ce ‘pacte de responsabilité’ n’ait qu’un impact à la marge sur la compétitivité française”, note Éric Heyer.
Un “pacte” pour un virage “social-libéral” ? Avec ce cadeau aux entreprises, le François Hollande “ennemi de la finance internationale” semble enterré et certains voient ce grand oral comme le coup d’envoi d’un tournant libéral dans le quinquennat. “Il y a une volonté de couper dans les dépenses et de parler avec le patronat, c’est un tournant libéral et un virage à droite”, confirme Pascal de Lima.
Mais pour d’autres, ce n’est que la confirmation voire l’accélération d’une politique économique qui aurait toujours - ou presque - été d’inspiration libérale. “Le premier budget voté par le gouvernement Ayrault, en 2013, est celui le plus marqué par le sceau de la rigueur”, rappelle Éric Heyer. Depuis lors, les deux principaux objectifs économiques de François Hollande sont la baisse des déficits et la réduction des charges qui pèsent sur les entreprises. “Qui pourrait croire que ce sont des priorités économiques d’un gouvernement socialiste?”, s’interroge-t-il.