
Roger Jean-Claude Mbédé, condamné à 3 ans de prison pour homosexualité, est mort vendredi dans son village natal. Dans un entretien accordé à FRANCE 24, son avocate, Me Alice Nkom, accuse la famille du Camerounais de l'avoir "laissé crever".
Il était devenu un symbole, à son corps défendant. Roger Jean-Claude Mbédé, condamné en avril 2011 à trois ans de prison pour homosexualité, est décédé le 10 janvier dans le petit village de Ngomou, près de Yaoundé, au Cameroun. Alors qu'il avait été libéré sous caution en 2012, son affaire, devenue emblématique pour les défenseurs des droits des homosexuels, devait être la première jugée par la Cour suprême. Pour l'une de ses avocates, Me Alice Nkom, l’homme de 35 ans, qui souffrait d’un cancer des testicules diagnostiqué en juillet 2013, est mort "séquestré" par sa famille.
En mars 2011, l’étudiant en philosophie avait été interpellé après avoir envoyé un SMS à un autre homme. "Je suis amoureux de toi", écrivait-il tout simplement. Arrêté sans mandat d’arrêt et sans infraction caractérisée, les gendarmes l’avaient roué de coups lors de son audition, selon le témoignage qu’il avait confié à Human Rights Watch. "Celui qui m'interrogeait [...] a appelé son collègue pour me passer à tabac. Il m'a donné un premier coup dans la bouche. Puis un autre, et encore un autre, et il a déchiré ma chemise. Ils ont jeté mes chaussures. Lorsque j'ai été emmené [au bureau du procureur], j'étais pieds nus, comme un bandit."
Roger Jean-Claude Mbédé avait finalement avoué de précédentes aventures, ce qui constitue un délit selon l'article 347 bis du Code pénal camerounais qui criminalise les "rapports sexuels avec une personne de son sexe". Un mois plus tard, il était condamné en première instance à une peine de trois ans dans un pays où l’homosexualité est passible de 5 ans de prison.
Après un an de détention, l’étudiant, dont la santé s’était considérablement dégradée, avait été remis en liberté dans l’attente de la décision de la Cour d’appel. Le 16 juillet 2012, malgré l’émoi international provoqué par son cas, sa peine avait été confirmée. Il avait alors introduit un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême et s’était retiré dans son village natal de peur de représailles mais aussi de retourner en prison.
Me Alice Nkom, présidente de l’association pour la défense des droits des homosexuels (ADEFHO) au Cameroun, a accepté de revenir pour FRANCE 24 sur les circonstances de sa mort. Elle affirme que Roger Jean-Claude Mbédé est mort "séquestré", confiné dans une chambre par ses proches pour qu’il expie sa "faute" : son homosexualité.
Comment avez-vous appris la mort de Roger Jean-Claude Mbédé ?
Me Alice Nkom : J’ai appris son décès vendredi. Deux jours auparavant, nous avions envoyé un messager dans son village car il ne répondait plus au téléphone. Roger Jean-Claude Mbédé s’était réfugié là car il y avait un mandat d’arrêt qui faisait qu’il pouvait être arrêté à tout moment. Il nous a alors annoncé la mauvaise nouvelle : il était séquestré. La famille nous accusait, mon association et moi, d’avoir passé un pacte avec le diable. Il fallait qu’on leur ramène toutes les photos, toutes les vidéos où l’on voyait Roger Jean-Claude Mbédé et où l’on parlait de son homosexualité. Sa famille a d’abord prétendu qu’il était en voyage, puis on a emmené le messager dans une petite pièce où se trouvait Roger. Il était très malade, très très mal en point. On était en train d’envisager comment l’extraire de cet endroit. On a même pensé à envoyer une ambulance avec des gardes du corps. Et puis, on a appris la nouvelle.
C’est un coup dur. Son arrestation a totalement brisé Roger Jean-Claude Mbédé. Il est tombé malade en prison et ce n’est qu’à sa libération provisoire qu’on a diagnostiqué un cancer des testicules. Sa maladie demandait un suivi médical qu’il n’a pas pu avoir en détention. Sa famille a affirmé au messager qu’elle souhaitait qu’il meurt pour laver la malédiction de son homosexualité. Sa famille l’a laissé crever.
Envisagez-vous des poursuites contre sa famille ?
A.N. : Les seules suites judiciaires qui doivent être prises sont contre l’État du Cameroun. Il est responsable de la mort lente de Roger Jean-Claude Mbédé pour présomption d’homosexualité. L’État s’est engagé à protéger les minorités. En jetant en pâture la minorité homosexuelle, le Cameroun est devenu le premier criminel. Quand les défenseurs sont menacés - et je l’ai été -, personne ne bouge. Il y a une complicité active à l’homophobie tueuse dont a été victime Roger. Il était un simple étudiant qui n’avait jamais eu de problème avant son arrestation. C’est ce qui a causé sa chute. Son crime est d’avoir envoyé un SMS. Quel est l’État de droit qui peut condamner quelqu’un pour un acte sexuel non posé ? Il a sanctionné l’amour jusqu’à la mort. Il n’y a pas de vie privée pour des jeunes gens sans défense mais un crime d’homosexualité.
Je continuerai le combat jusqu’à ce que nous ayons une décision de la Cour suprême. C’est la seule procédure qui peut aboutir à l’arrêt de la pénalisation de l’amour. Nous y étions presque mais avec le décès de Roger, le procès n’aura pas lieu. Désormais, je vais tout faire pour porter l’affaire de Jonas et Franky, deux travestis camerounais soupçonnés d’être homosexuels parce qu’ils s’habillent en femme et boivent du Bailey’s, devant la Cour suprême. Roger Jean-Claude Mbédé n’est pas mort pour rien. Il est devenu un symbole malgré lui. Lorsqu’il était en prison, je lui apportais son courrier en provenance du monde entier dans des cantines !
Comment vivez-vous son décès ?
A.N. : Je suis très affectée. Je l’ai accompagné de A à Z dans son trajet vers la mort. La famille m’en veut, elle me rend responsable. Je ne peux pas aller me recueillir sur sa dépouille pour l’instant. Peut-être plus tard, dans un an, deux ans… J’ai perdu un enfant. Il a été mon client lorsqu’il m’a confié son dossier mais il est avant tout mon enfant. Nous avions un lien très fort. C’était mon fils.