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Trois erreurs à ne plus commettre sur Dieudonné

Dieudonné divise la France. L’interdiction de son spectacle à Nantes et à Tours est pour les uns une victoire, pour d’autres une atteinte à la liberté d’expression. Pourquoi il faut cesser de s’égarer sur le "phénomène".

1/ Le considérer comme un humoriste

Dieudonné fait rire son public. Ceux qui se massent pour assister à ses spectacles moyennant une quarantaine d’euros passent une bonne soirée. Le rire, c’est bon pour la santé et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils acceptent de payer afin de mettre leurs soucis entre parenthèses. Est-ce une raison pour continuer à qualifier Dieudonné d’"humoriste", voire de "comique" ?

En France, ce qualificatif revêt une connotation positive. L’humour qui fait rire tout le monde est rarement synonyme de talent. Pour être reconnu, l’humoriste se doit d’être "vache", cruel et de caricaturer ses victimes. Ensuite, tout est affaire de goût, l’humour peut être fin ou gras - dans ce cas, il flirte souvent avec la vulgarité - mais d’une manière générale, la société et les tribunaux accordent une licence artistique aux humoristes. Ils remplissent un rôle salutaire dans une société démocratique.

Dieudonné, lui, est un organisateur et interprète de spectacles, cela ne fait pas de doute. Mais il a cessé d’être un humoriste depuis bien longtemps. En particulier depuis le jour où il a convié sur scène le négationniste de la Shoah, Robert Faurisson, qui n’est pas exactement un joyeux drille. Ou depuis qu’il a lancé et conduit sa liste "antisioniste" aux élections européennes. Dès lors, Dieudonné est devenu un activiste antisémite obsessionnel, tour à tour négationniste - au nom de la liberté d’expression - ou apologiste, quand il regrette que les chambres à gaz ne puissent plus servir pour le débarrasser d’un journaliste qu’il n’aime pas. La cohérence ? C’est que tout est bon pour attiser la haine des juifs. Il peut les accuser les jours pairs d’avoir propagé un mensonge pour fonder Israël, et les jours impairs regretter qu’on n’en ait pas tué assez.

Le "génie" de Dieudonné est d’avoir compris que dans le monde actuel, qui sacralise la dérision, il est plus aisé de conquérir et de fidéliser un public en le faisant rire, quitte à flatter ses plus bas instincts, qu’en proclamant des discours politiques rébarbatifs. Mais le rire n’est pas l’humour. Kundera a montré magistralement comment il pouvait se transformer en un instrument du totalitarisme. Au mieux, Dieudonné est un bouffon.

2/ Sauter à la conclusion qu’on aurait le droit de rire de tout et de tous, sauf des juifs

Dans le passé, Dieudonné faisait rire aux dépens des catholiques, des Pygmées, des Noirs et même des musulmans, sans que personne ne s’en indigne. Mais il n’a jamais accusé aucune de ces catégories d’être à l’origine de tous les malheurs du monde. D’avoir mis la classe politique à sa botte. De tirer un profit financier de la mémoire de ses martyrs ("la shoah pornographie mémorielle"), ou d’avoir été les organisateurs d’un génocide (la traite négrière). Bref il n’avait jamais "démonisé" une catégorie entière de la population en raison de sa race ou de son origine.

Par définition, plus les gens se sentent héritiers d’une histoire de souffrance et de discrimination et plus il est risqué de faire rire le public de leurs travers. L’humoriste n’a pas à céder au "politiquement correct". Mais se servir d’une caractéristique physique ou coller sur "les juifs", sur "les arabes", sur "les Noirs" des poncifs, des préjugés déjà répandus confine au racisme. L’humoriste prend souvent le risque de tomber dans le mauvais goût. Comme Stéphane Guillon quand il se moque des handicapés. On aime ou on n’aime pas. Mais il reste dans le cadre de son métier.

Dieudonné, lui, va au-delà du racisme lorsqu’il désigne les juifs comme des profiteurs de misères, des exploiteurs. Il les désigne à la vindicte et à la haine raciale. Celle-là même qui poussa à l’acte des Fofana (dont il demande la libération) et des Mohamed Merah. Bien sûr, la plupart des spectateurs de Dieudonné dans les salles et sur Internet ne deviendront pas des criminels, mais il en suffit d’un.

Faire un sketch-en une heure et demie-sur les juifs est une chose, mais quand tout le spectacle vise cette communauté, il est légitime d'en déduire que l’on a basculé dans l’antisémitisme.

3/ Penser qu’en interdisant les spectacles de Dieudonné, on en fait un martyr

Cela fait maintenant environ dix ans que Dieudonné s’est spécialisé dans l’antisémitisme, sous couvert d’antisionisme, d’"anti-système", ou bien au nom de la liberté d’expression. Au début, personne ne voulait l’admettre. Étant Noir et "pro-palestinien", il se positionnait du côté des victimes. Il a fallu du temps avant qu’il cesse d’être invité dans les émissions de télévision, au nom du principe qu’"On ne peut pas plaire à tout le monde", ou qu’il avait un public s'identifiant dans sa dénonciation d’un supposé "système", dont on attend toujours la définition. À de rares exceptions près, il a pu se produire où il le voulait et son audience n’a cessé de croître, en particulier grâce aux réseaux sociaux et à Internet, media pour lequel il est pratiquement impossible de faire appliquer les restrictions à la liberté d’expression prévues dans le droit français.

Dieudonné a toutefois été condamné neuf fois pour propos antisémites et incitation à la haine raciale, sans jamais payer ses amendes et en organisant son insolvabilité. Il n’est pas une victime, c’est un profiteur des failles du "système" qu’il prétend dénoncer. Il était temps que la République chargée de faire appliquer les lois commence à se faire respecter. Ce n’est pas Dieudonné qui est empêché de s’exprimer, c’est son spectacle qui est interdit. Car il est une infraction flagrante aux lois et que la justice a le devoir d’empêcher que ces infractions continuent d’être commises en toute connaissance de cause. Cela aurait constitué en soi un trouble à l’ordre public. Le fait qu’on le laisse continuer à gagner de l’argent en répandant cette haine, alors qu’il reste redevable de ses amendes, est une circonstance aggravante. Dieudonné agit comme s’il était au-dessus des lois.

Non, on ne parle pas "trop" de Dieudonné, même s’il se passe dans le monde des choses bien plus graves ou outrageantes que son spectacle. Diffuser ses propos et les condamner, montrer à ceux qui, de bonne foi, ignoraient encore que la quenelle était un signe de ralliement des antisémites aura ouvert les yeux de certains et donc constitué une œuvre de salubrité publique. Le racisme, sous ses différentes formes, est revenu dans l’air du temps. L’éradiquer est, en étant optimiste, une tâche au long cours.

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