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La justice française scrute les combines fiscales de Dieudonné

Selon des révélations du "Monde" et du "Canard Enchaîné", une enquête serait en cours visant l’humoriste controversé Dieudonné, suspecté de "blanchiment", "d’organisation d’insolvabilité" et de "fraude fiscale".

Dieudonné traverse une bien mauvaise passe. Alors que les recours en vue de faire annuler ses spectacles se multiplient à travers la France, "Le Monde" et "Le Canard Enchaîné" ont révélé, mardi 7 janvier et mercredi 8 janvier, que la justice s’intéressait de près au patrimoine de l’humoriste polémique et de son entourage.

Des mouvements de fonds suspects, notamment sur les comptes en banque de Noémie Montagne, la femme de Dieudonné M’Bala M’Bala, ont mis, en 2012, la puce à l’oreille de la Trafin, la cellule anti-blanchiment du ministère des Finances. Cette dernière a saisi le parquet de Chartres, où sont domiciliées les entreprises concernées. Selon "Le Monde", le procureur de Chartres a, un mois plus tard, demandé l’ouverture d’une enquête auprès de la police judiciaire d’Orléans pour "blanchiment", "organisation d’insolvabilité" et "fraude fiscale".

Le comédien, toujours selon les deux journaux, aurait envoyé, depuis 2009, plus de 400 000 euros (415 000 selon l’hebdomadaire satirique) vers le Cameroun, pays d’origine de son père, dont 230 000 au cours de la seule année 2013. Le fisc, rappelle le quotidien du soir, lui réclame encore 837 135 d'euros d'impayés. Par ailleurs, condamné à plusieurs reprises pour injures raciales et antisémitisme, il a écopé de 65 000 euros d’amende, dont 38 000 après des condamnations définitives.

"Insolvable"

Pourtant, malgré les centaines de milliers d’euros envoyés au Cameroun, Dieudonné est "insolvable", et n’a jamais versé ces amendes à l’État. "Impossible, précise 'Le Monde', de saisir les revenus de M. M'Bala M'Bala : il n'est ni salarié, ni associé en capital dans les sociétés qui gèrent ses spectacles et son image." "Même son 4x4 est au nom de la société qui elle-même est au nom de sa femme", précise le "Canard Enchaîné".

Cette pirouette n’a pas manqué de déclencher l’ire du ministre de l’Intérieur, déjà passablement irrité par les "diatribes antisémites" de l’agitateur. Vendredi 3 janvier, Manuel Valls a assuré, sur Europe 1, qu’il allait "mobiliser l’ensemble des services" pour que Dieudonné, qui "tente d'organiser son insolvabilité, […] soit obligé de payer". Selon "Le Canard Enchaîné", le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en aurait remis une couche, lundi 6 janvier, auprès des ministres de la Justice et du Budget : "Dieudonné, on va l’avoir au portefeuille. Il ne faut pas nous prendre pour des naïfs, ce type n’est pas net".

Lucrative quenelle

Et pour cause : le système Dieudonné engendre bel et bien de l’argent - et beaucoup d’argent - bien qu’il prétende, lors de chacun de ses procès, ne vivre "qu’avec 50 000 euros par an". D’autant qu’il ne paie pas moins de sept avocats pour sa défense. L’homme, qui se produit six fois pas semaine au théâtre de la Main d’Or, à Paris, et effectue des tournées à travers la France, fait salle comble à chaque représentation. En outre, il bénéficie de la vente de DVD, sweats, casquettes, etc… inspirés de ses spectacles. Sans compter sur l’effet de la "quenelle" controversée, qui, elle aussi, compte son lot de produits dérivés. Noémie Montagne a, à ce titre, déposé à l’Institut de la propriété industrielle les marques "Quenelle" et "Quenelle +" et a créé, début 2002, la société de conseil en relations publiques et communication "E-Quenelle".

Noémie Montagne possède et dirige également la moitié des lucratives Productions de la Plume dont le chiffre d’affaires a atteint 1,8 millions d’euros en 2012. Elle est par ailleurs, selon "Le Canard Enchaîné", propriétaire de deux maisons. L’une était celle de Dieudonné, vendue aux enchères – et donc rachetée par sa compagne – pour qu’il puisse s’acquitter des 837 135 euros dus au Trésor public. Les enquêteurs soupçonnaient ce tour de passe-passe depuis longtemps, et sont parvenus à en obtenir les preuves, selon "Le Monde".

"Le Canard Enchaîné" révèle en outre que l’ex-femme de Dieudonné, Marine Lutinier, serait aussi partie prenante du "système fiscal" du comique controversé. Ce sont via ses comptes en banque qu’auraient transité, à travers des retraits en liquide et des virements postaux, les quelque 400 000 euros vers le Cameroun. Pays où la société Ewondo Corp, qui importe des lubrifiants pétroliers en provenance du Qatar, a vu le jour en janvier 2013, et dont le directeur général n’est autre que Merlin M’Bala M’Bala, le fils de Dieudonné, lui-même mentionné comme "responsable" de l’entreprise. De quoi donner du grain à moudre à la brigade financière d’Orléans.