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Interdiction de conduire : les Saoudiennes redémarrent au quart de tour

Les Saoudiennes, qui ont déjà pris le volant plusieurs fois pour protester contre la loi leur interdisant de conduire, ont programmé une nouvelle opération le 28 décembre dans l'espoir d'obtenir gain de cause auprès du roi Abdallah.

Pour le troisème mois consécutif, les Saoudiennes s’apprêtent à prendre le volant, le temps d’une journée, pour défier les autorités ultra-conservatrices du royaume wahhabite. Après deux opérations le 26 octobre et le 31 novembre 2013, elles ont choisi de poursuivre ce mouvement baptisé “Women to Drive” samedi 28 décembre. Si aucun défilé de femmes au volant n'est attendu dans les rues de la capitale Ryad - la loi du pays interdit les rassemblements -, les militantes sont invitées à conduire individuellement puis à poster une photo ou une vidéo d’elle en action sur les réseaux sociaux.

VIDÉO de présentation de l'opération du 28 décembre

"Désordres physiques"

Toujours plus déterminées, elles s’appuient sur la législation en vigueur dans le pays pour faire entendre raison aux autorités. “Il n’est pas illégal pour les femmes de conduire en Arabie saoudite. Ce qui l’est, c’est de conduire sans permis saoudien. Or, aucun permis n’est délivré aux femmes dans ce pays. Un embargo purement culturel”, explique la Canadienne Kathy Cuddihy, expatriée pendant 24 ans dans ce pays qu’elle a appris à aimer et auteur du livre “Tout sauf l’Arabie saoudite”. Même en possession d’un permis obtenu à l’étranger, impossible de prendre le volant pour les femmes. Les dernières incarcérations sous ce motif remontent à 2011 mais depuis, les arrestations et amendes restent régulières.

En plus du cadre législatif, les militantes brandissent également l’argument religieux selon lequel conduire ne contrevient pas à la charia, la loi islamique invoquée par les partisans de l'interdiction. "Tout comme les femmes parmi les compagnons du prophète (Mahomet) se déplaçaient à dos de cheval et de chameau, il est de notre droit de conduire en utilisant les moyens de transport de notre ère moderne", écrivaient-elles dans une pétition publiée en septembre, avant d’être censurée par les autorités au bout de deux semaines.

Autant d’arguments qui ne semblent pas perturber les ultra-conservateurs. Ainsi, il y a quelques semaines, le cheikh Saleh al-Luhaydan n’a pas hésité à se servir d’arguments pseudo-médicaux pour démonter la campagne des conductrices militantes : "La conduite affecte automatiquement les ovaires, et remonte le pelvis, a-t-il assuré sur le site sabq.org. C’est pour cela que les enfants nés de femmes qui conduisent régulièrement souffrent de désordres physiques à des degrés divers".

Vingt ans de combat

Une sortie particulièrement dégradante pour les femmes dans une Arabie saoudite où elles sont quelque 12 millions de femmes à ne jouir d’aucune mobilité quelle qu’elle soit. Seul État au monde à interdire aux femmes de conduire, les Saoudiennes doivent également obtenir l’aval d’un tuteur - père, frère ou mari - pour pouvoir voyager, travailler et même se marier.

Symptomatique des polémiques que peut déclencher la question de la condition des femmes, le droit de conduire a commencé à être revendiqué en 1990, en pleine guerre du Golfe. Sur le modèle des femmes de l’armée américaine qu’elles voient sur les bases militaires du royaume, 47 Saoudiennes décident d’organiser un convoi dans les rues de Riyad. L’opération se soldera finalement par des arrestations et même des licenciements.

Une expérience visiblement traumatisante pour les femmes d’Arabie saoudite qui ont tu le débat pendant plus de deux décennies. Il faut ainsi attendre 2011 et la première campagne “Women to Drive” pour revoir une action significative, bien qu’éphémère. Cette fois-ci, elles comptent bien pérenniser le mouvement tous les mois jusqu’à temps que le roi Abdallah - considéré comme un prudent réformateur - abonde dans leur sens. Et au vu des mesures en leur faveur que le souverain a fait adopter ces dernières années, elles ont bon espoir.

Progrès encourageants

Le premier établissement scolaire mixte, l’université des sciences et de la technologie, a ainsi ouvert en 2009. Deux ans plus tard, en septembre 2011, les femmes ont obtenu le droit de vote et de représentation aux élections municipales de 2015. Et depuis la fin août, les violences conjugales ont été interdites par la loi.

Quant à la cause des conductrices, elle pourrait finir par être entendue, surtout depuis que 30 femmes (sur les 150 membres désignés par le roi) on fait leur entrée, début 2013, au sein du Conseil consultatif Majlis al-Choura. Le 10 octobre dernier, trois d’entre elles ont déposé un recours pour lever l’interdiction de conduire aux femmes. Toutes espèrent plus que jamais qu’il débouchera enfin sur un décret royal.