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Introuvable et accusé par les autorités de Juba d’avoir fomenté un coup d’État, cette figure de la rébellion sud-soudanaise nie toute implication. Cet ex-vice président, qui a connu la disgrâce, a ouvert un nouveau chapitre d’une vie tumultueuse.

Dans un entretien au site indépendant "Sudan Tribune" publié mercredi, Riek Machar affirme qu’il n’a aucune responsabilité dans les combats qui opposent depuis dimanche soir des factions rivales de l’armée dans la capitale sud-soudanaise.

"Il n’y a pas eu de coup d’État. Ce qui s’est passé à Juba est un malentendu entre membres de la garde présidentielle, au sein de leur unité. Ce n’était pas une tentative de coup d’État. Je n’ai aucun lien ou connaissance d’une quelconque tentative de coup d’État."

Mais celui qui fut nommé vice-Président du Soudan du Sud en juillet 2011, et congédié deux ans plus tard, est désormais en fuite selon les autorités de Juba. Selon Salva Kiir, le président sud-soudanais, son ancien compagnon d’arme a renoué avec les traîtrises du passé. Avant de se déclarer disposé à "discuter" avec son rival, il qualifiait ce dernier de "prophète de malheur".

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La belle et le rebelle

Si la confusion règne toujours au Soudan du Sud, les évènements des derniers jours apparaissent comme un épisode de plus dans la vie romanesque de Riek Machar. Né dans la province d’Unity dans la région du Haut-Nil, il fait des études d’ingénieur à l’université de Kharthoum avant d’obtenir en 1984 un doctorat de philosophie à l’université de Bradford, en Grande-Bretagne.

L’année suivante, il rejoint le maquis du SPLA, l’Armée populaire de libération du Soudan, dirigé par John Garang, qui lutte pour l’indépendance du Soudan du Sud majoritairement chrétien.

En 1991, il épouse une jeune et belle coopérante britannique, Emma McCune. Celle qui était venue au Soudan pour sauver les enfants de la guerre civile était tombée sous le charme du chef de guerre et ténor de la rébellion.

Mais l’idylle tourne au drame. En 1993, la jeune femme, enceinte, meurt à Nairobi, au Kenya, dans un accident de la route. Une histoire dont une journaliste américaine s'inspirera pour écrire "Emma’s war", un livre symbole de l’idéalisme parfois aveugle des humanitaires occidentaux en Afrique. Le réalisateur américain Tony Scott envisageait, eou avant sa disparition, une adaptation sur grand écran.

Rebelle ou allié de Khartoum ?

À l’époque de son mariage, Riek Machar était devenu un rebelle au sein de son propre camp. En 1991, il conteste le leadership de John Garang sur le SPLM/SPLA, le mouvement populaire de libération du Soudan, qui éclate entre plusieurs factions.

Ces tensions sont alimentées par des rivalités ethniques : Riek Machar appartient à un groupe minoritaire, les Nuers, tandis que le fondateur de la rébellion, John Garang, est accusé de favoriser son ethnie, les Dinkas, majoritaire dans le sud du pays.

Au sein de la rébellion, on accuse l’ambitieux Riek Machar d’être soutenu en sous main par l’ennemi, le régime de Kharthoum. Ce dernier nie et finit par réintégrer le mouvement des rebelles en se réconciliant avec son chef, John Garang, en 2002.

Après l’accord de paix entre le Nord et le Sud, en 2005, l’ascension de Riek Machar se poursuit. Le guérillero revêt un costume cravate et est nommé vice-président en 2011, lorsque le Soudan du Sud obtient son indépendance.

Pas d’affrontements sur une base ethnique

Après l’euphorie de l’indépendance, et malgré un sous-sol riche en pétrole, le jeune État sud-soudanais se heurte à de nombreuses difficultés. Riek Machar affronte à nouveau ses camarades du SPLM/SPLA en critiquant ouvertement la gestion du premier président sud-soudanais, Salva Kiir. En juillet 2013, il annonce sa candidature à l'élection présidentielle prévue en 2015 et est immédiatement limogé, ainsi que l’ensemble du gouvernement. En décembre, avec d’autres figures politiques, il dénonce publiquement "l’attitude dictatoriale" du président Kiir.

Pour Cedric Barnes, de l’International Crisis Group, depuis la disparition de John Garang (le père de l’indépendance sud-soudanaise) en 2005, "Machar veut prendre la tête du SPLM, d’une certaine manière il poursuit cet objectif depuis des années. L’issue de cette confrontation est très incertaine et rend la situation très volatile". Ahmed Soliman, du think-tank britannique Chatham House ajoute que "c’est une figure politique de premier plan au Soudan du Sud. Il fait partie du paysage depuis très longtemps et ses rapports avec les chefs du SPLM sont anciens et ont connu des hauts et des bas".

L’homme est charismatique et puissant, et les circonstances qui ont amené les affrontements de ces derniers jours restent encore floues. Pour Cedric Barnes, il ne faut pas voir dans les fusillades et les déplacés de ses 72 dernières heures les prémices d’un conflit ethnique entre Dinka, fidèles au président Kiir, et Nuers, acquis à Machar. "De nombreux Dinkas ont été arrêté (par les forces gouvernementales, NDLR). De plus il n’existe pas de solidarité forte entre membres (de l’ethnie majoritaire) au sein du parti dirigeant."

Mais personne n’est à l’abri d’une ethnicisation d’un conflit entre camarades de résistance arrivés au sommet du pouvoir. Le chercheur de l’International Crisis Group met en garde : "Cette crise peut être instrumentalisée par n’importe quelle partie en mettant en avant les appartenances ethniques pour servir des objectifs politiciens."

Après une nuit calme, le couvre-feu ordonné lundi est toujours en vigueur à Juba, à partir de 18 h. Les rares avions qui se posent sur l’aéroport international de la capitale sud-soudanaise continue d’évacuer les ressortissants étrangers.