En critiquant ouvertement le choix de Nadine Morano comme tête de liste aux européennes, Bernard Accoyer (UMP) a pointé du doigt le manque de légitimité de nombreux eurodéputés. Un mal affectant la droite comme la gauche. Entretien.
Le scrutin européen du 25 mai 2014 est-il la poubelle de recyclage des partis politiques français ? À en croire le coup de gueule retentissant de Bernard Accoyer, député UMP de Haute-Savoie, après l’annonce de la candidature de Nadine Morano pour diriger la liste UMP du Grand-Est, les élections européennes ont été transformées en session de rattrapage pour les recalés des législatives.
Dans une interview accordée au journal "Le Monde", mercredi 11 décembre, l’ex-président de l'Assemblée nationale rappelle l’importance de l’enjeu européen, et plaide pour plus de "discernement et d'objectivité" dans le choix des candidats du principal parti d’opposition. "Le député européen de 2014 devra être une personnalité compétente, reconnue, bilingue, influente et assidue au Parlement, plutôt que d'être sur les plateaux de télévision ou dans l'antichambre des partis politiques", plaide-t-il.
La tradition du parachutage
Si la principale intéressée a répondu en promettant de réviser son anglais, Bernard Accoyer a bel et bien lancé un pavé dans la mare. Car le choix de Nadine Morano est loin d'être un cas isolé. D’après le site Internet "L’Opinion", Brice Hortefeux a été choisi pour conduire la liste UMP dans la région Grand-Centre, et dans le Sud-Est, le chef de file sera le marseillais Renaud Muselier. Leur point commun ? Tous deux seront totalement dépourvus de mandat s’ils ne siègent pas au Parlement européen.
Mais le parachutage à Strasbourg n'est pas l'apanage de la droite. À gauche, le Parti socialiste a notamment choisi l’actuel ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, pour conduire la liste du Sud-Est. S’il est élu à Strasbourg, il démissionnera pour laisser sa place à la numéro 2 de la liste, l’eurodéputée sortante Sylvie Guillaume, mais surtout pour permettre au politologue Zaki Laïdi, proche de Manuel Valls, de siéger.
Les partis politiques considèrent-ils le Parlement européen comme un prix de consolation pour les défaits du suffrage universel ? Le scrutin de listes explique-t-il le désamour des Français pour les élections européennes ? Réponses avec le politologue Thomas Guénolé, maître de conférences à Sciences Po et auteur de "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" aux éditions First.
Les têtes de listes aux élections européennes servent-elles à faire du recyclage des cadres de partis ou des personnalités défaites au suffrage universel direct ?
Il y a deux cas de figures pour le choix des têtes de liste. Dans le premier cas, le parti envoie des personnalités implantées localement mais n’ayant pas de mandat, comme par exemple celui de maire. C’est le cas de Nadine Morano mais aussi de Brice Hortefeux. Dans le second, la tête de liste n’a aucune assise locale, mais sans place sur une liste européenne n’a aucune chance d'avoir un mandat. Cela lui permet de rester dans le circuit en se prévalant d’être élu.
Les compétences sont-elles secondaires en raison de la nature européenne du scrutin ?
Tout scrutin de listes pose problème, car il ne repose pas toujours sur le mérite des candidats. D’une part, l’électeur va voter pour la marque, le parti. La personne élue ne l’est donc pas sur son propre mérite, mais sur celui de son parti. La tête de liste pourrait être une chèvre accrochée à un piquet, elle serait élue. En revanche, on peut également décider de mettre une locomotive en guise de tête de liste. Les noms suivants ne sont alors pas non plus élus sur leur mérite, mais par effet mécanique. C’est l’exemple de Bernard Tapie, tête de liste du Mouvement des Radicaux de Gauche en 1994 [ancêtre du PRG, le Parti Radical de Gauche, NDLR]. Enfin, le parti peut également décider de cumuler la marque et la tête d’affiche pour attirer les électeurs. Daniel Cohn-Bendit est l’illustration parfaite pour Europe Ecologie les Verts.
La seule possibilité pour éviter cela serait de prendre l’ensemble du territoire français et de le diviser par le nombre de sièges au Parlement européen, afin d’obtenir un nombre de circonscriptions équivalent et d’organiser un scrutin uninominal à deux tours, comme pour l’élection des députés français. Dans ce cas-là, un mauvais candidat ne serait pas élu.
Est-ce une exception française ?
Pas du tout, il suffit de regarder du côté des Italiens. Les Français sont cependant moins sérieux que les Allemands et les Britanniques. Ces derniers sont plus efficaces aux postes clés des institutions européennes, parce qu’ils restent plus longtemps en place. D’ailleurs peut-être trop. Pour éviter un fonctionnement en circuit fermé, il faudrait limiter à deux le nombre de mandats des députés européens. Les eurodéputés français eux, indépendamment de leur valeur, sont presque systématiquement remplacés au bout de chaque mandat, tous les six ans.
Le mode de scrutin explique-t-il le désintérêt des Français pour les élections européennes ?
Ce n’est pas cela qui est en cause. Dans le cas des municipales, où le mode de scrutin est le même, les Français sont mobilisés. À Paris, ils vont pourtant porter leurs voix sur les listes d’Anne Hidalgo ou de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors que bien souvent ils ne connaissent pas les autres candidats. Le véritable problème, c’est que le Parlement européen a une culture du débat très complexe.
Les députés européens, qui sont souvent de très bons techniciens, ne sont pas de bons communicants. Ils ne prennent pas le temps de simplifier leurs propos pour interpeller les Français, comme le faisait notamment Jean-Marie Le Pen ou encore aujourd’hui Daniel Cohn-Bendit. Le désintérêt des Français pour les questions européennes vient aussi du manque de relais médiatiques. Pourtant, certains enjeux sont colossaux. Les Français ne réalisent pas le poids du Parlement européen, alors qu’une loi sur deux votée par le Parlement français n’est qu’un copié-collé de la législation européenne.