
Si Nelson Mandela est depuis longtemps vénéré en France, Paris n'a pas toujours été en pointe dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Retour sur un demi-siècle de relations mouvementées entre les deux pays.
Drapeaux en bernes, hommages appuyés des responsables français, les marques de sympathie à l’égard de Nelson Mandela ne manquent pas depuis l'annonce de sa mort, jeudi 5 décembre, à l'âge de 95 ans. Mais si la France a été la première nation occidentale à accueillir le héros de la lutte anti-apartheid après sa libération de prison en 1990, l'attitude française face au régime ségrégationniste d'Afrique du Sud n'a pas toujours été aussi claire. Loin s’en faut.
Au cours des années 60 et 70, la France a développé des relations militaires et commerciales très étroites avec le régime en place à Pretoria. Paris continue d'ailleurs de vendre des armes au régime sud-africain, même après 1963 et l'adoption d'une résolution à l'ONU appelant tous les États à arrêter la vente et la livraison d'armes, de munitions et de véhicules militaires.
L'embargo sur les armes a été rendu obligatoire le 4 novembre 1977, et ce n'est qu'à partir de là que la France a renoncé à plusieurs contrats en cours avec l'Afrique du Sud.
Le virage de 1981
L’avènement de François Mitterrand au pouvoir en mai 1981 signe le début d’une position plus tranchée de la France vis-à-vis de l’Afrique du Sud. Les réceptions officielles avec des responsables sud-africains sont annulées et la France adopte des sanctions économiques. Le Congrès National Africain (ANC), parti de Nelson Mandela alors emprisonné, peut ouvrir un bureau à Paris.
Et un événement tragique va finir de rassembler toute la classe politique autour de la cause anti-apartheid. L’assassinat de Dulcie September, militante de l'ANC, tuée en 1988 d’une balle dans la tête près des locaux de son parti, dans le Xe arrondissement de Paris, est dénoncé par l’ensemble des dirigeants français. L’enquête ne livrera jamais le coupable de ce crime, mais les Français prennent conscience des enjeux qui se jouent en Afrique du Sud.
Mitterrand, premier chef d’État reçu par Madiba
Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré de prison après 27 années d’incarcération. Le charismatique leader de la lutte anti-apartheid entame dès lors des négociations avec le pouvoir en place. Ses discussions sont encouragées par le gouvernement français, via son ambassade en Afrique du Sud.
En juin 1990, Madiba est reçu pour la première fois en visite officielle à Paris avec tous les honneurs réservés aux hommes d’État. Celui qui n’est encore que le président de l'ANC se rend tour à tour à l’Élysée, à Matignon, à l’Hôtel de Ville de Paris, ainsi qu’au siège du PCF et du Parti socialiste. Le but de son voyage est de demander au président français de maintenir les sanctions économiques qui pèsent sur la république sud-africaine.
Nelson Mandela en France en 1990
Le 27 avril 1994, Nelson Mandela devient le premier président noir d’Afrique du Sud. Quelques semaines après son élection, François Mitterrand est le premier chef d'État à être reçu en visite officielle par le nouveau président. L'occasion pour l’homme politique français de porter aux deux nations un message d'espoir : "'Un homme, une voix' : c'est ça la démocratie. À condition de veiller à ce qu'aucune minorité ne se sente brimée ou exclue. Une libération sans revanche, la loi de la majorité sans l'oppression de la minorité. Voilà bien des principes que, nous dirons entre nous, ne sont pas si faciles que cela à appliquer".
François Mitterrand, premier chef d'État a être reçu par Nelson Mandela après son élection
Retour des relations économiques
Sous la présidence de Jacques Chirac, le nouveau président sud-africain est invité au Château de Rambouillet en juillet 1996. Le but du séjour est alors de resserrer les liens économiques entre les deux pays. Au cours du voyage officiel, Mandela, qui assiste à la garden-party de l'Élysée, est accueilli en véritable rock star par 3 000 jeunes, invités pour l'occasion. Les bonnes relations entre la France et Mandela ne sont plus à prouver.
Nelson Mandela reçu en 1996 par Jacques Chirac pour resserer les liens économiques
Au lendemain de la mort de Madiba, le drapeau tricolore est mis en berne. Devant les chefs d'État africains réunis à Paris pour un sommet sur la paix et la sécurité en Afrique, le président Hollande salue la mémoire du héros du continent noir : "Mandela est un exemple de résistance face à l'oppression, un exemple de liberté face à l'injustice, un exemple de dignité face à l'humiliation, un exemple de clairvoyance face à l'intolérance, un exemple de pardon face aux haines, un exemple de lucidité face aux dérives du pouvoir, un exemple d'intelligence face aux épreuves".