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Le général Aussaresses, un tortionnaire "sans remords, ni regrets"

Le général Paul Aussaresses, mort mercredi 4 décembre à l’âge de 95 ans, était sorti de sa réserve au début des années 2000 en affirmant la nécessité de la torture durant la guerre d’Algérie. Portrait.

Il était le héraut de l’indéfendable. Le général Paul Aussaresses, tristement célèbre pour avoir assumé et justifié le recours à la torture durant la guerre d'Algérie, est décédé à l’âge de 95 ans, mercredi 4 décembre, sans jamais s’être repenti ou avoir exprimé le moindre cas de conscience. Au grand dam de ses victimes.

Escadrons de la mort, tortures, exécutions sommaires… En novembre 2000, le général à la retraite brise le silence de la Grande Muette (nom donné avant 1945 à l'armée active, NDLR). Sans doute pour briller dans la lumière médiatique, Paul Aussaresses dévoile au journal  "Le Monde"  les méthodes utilisées par l’armée française pour combattre les partisans de l'indépendance, notamment pendant la bataille d'Alger en 1957. Le général Jacques Massu, commandant la 11e division parachutiste, lui demande alors de rétablir l’ordre dans la capitale algérienne. À la tête d’"un escadron de la mort", il procède à des arrestations, tortures, et exécute des opposants à l'Algérie française.

"La torture ne m'a jamais fait plaisir mais je m'y suis résolu quand je suis arrivé à Alger. À l'époque, elle était déjà généralisée. Si c'était à refaire, ça m'emmerderait, mais je referais la même chose car je ne crois pas qu'on puisse faire autrement", avait-il alors assuré dans les colonnes du quotidien. Pour le général, qui affirmait haut et fort n’avoir ni "remords, ni regrets", la torture était "légitime" en raison de "l’urgence".

"Pas de repentance collective" pour la guerre d’Algérie 

Ses propos suscitent une vague d’indignation sans précédent. Le Parti communiste français réclame alors une commission d’enquête, des intellectuels publient un appel à la reconnaissance et à la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie dans les colonnes du journal "L’Humanité" le 31 octobre 2000. Mais le Premier ministre de l’époque, le socialiste Lionel Jospin, coupe court au débat en expliquant qu'il n'y aurait pas "d'acte de repentance collective". La tempête passe.

Quelques mois plus tard, le 3 mai 2001, le général Aussaresses publie son livre-aveu "Service spéciaux, Algérie 1955-1957". L’homme laissé borgne par une opération ratée de la cataracte persiste et signe. Il y raconte comment à son arrivée à Philippeville, en Algérie, il se familiarise avec la torture. "Cela a été inutile ce jour-là, le type est mort sans rien dire." Il raconte ensuite qu'après l’attaque d’un village par le FLN où des femmes et des enfants furent massacrés, il fit rassembler des fellaghas mais également des villageois musulmans. "J’ai fait aligner les prisonniers (…). Il fallait les tuer, c’est tout, et je l’ai fait." 

Seule une condamnation pour apologie de la torture en 2004 est venue ternir la fin de carrière du haut-gradé borgne de l’armée française. L’ancien responsable du renseignement écope d’une amende de 7 500 euros.

"Une poursuite pour les actes de torture n’était juridiquement pas possible en raison de l’amnistie qui a couvert tous les faits en relation avec la guerre à la suite des accords d’Évian, rappelle l’historien Gilles Manceron, interrogé par FRANCE 24. L’amnistie a permis de tourner une page et peut difficilement être remise en cause. Si de telles poursuites avaient été possibles, d’autres auraient mérité d’être jugés autant que lui. Il n’est pas seul dans la chaîne de responsabilités qui comprenait des politiques et pas seulement des militaires."

Le général Aussaresses est alors exclu de l'ordre de la Légion d'honneur par le président Jacques Chirac. Une humiliation, une injustice pour celui qui se présentait comme le défenseur de la patrie. "Je ne voudrais pas que les hypocrites qui m’ont enlevé la Légion d’honneur, distinction que, moi, j’ai acquise au combat, puissent continuer à nier l’Histoire de France, avec ses réalités dures à dire et à entendre. Après moi, il ne restera plus grand monde pour parler", a rappelé le général Aussaresses dans une interview accordée à "Rue 89" en 2004, lors de la sortie de son ouvrage au titre évocateur "Je n’ai pas tout dit. Ultimes révélations au service de la France".

Aussaresses, une "personnalité complexe"

Le général Aussaresses a-t-il pour autant dévoilé tous ses secrets avant de mourir ? Pour Gilles Manceron, il demeurera toujours une part d’ombre dans la vie du haut-gradé. "Tous les militaires qui ont vécu cette guerre coloniale ont gardé des secrets enfouis, insiste l’historien. L’armée et ses responsables ne veulent rien dire concernant la mort de Maurice Audin (mathématicien communiste disparu à Alger le 11 juin 1957 après avoir été arrêté par des militaires français, NDLR) ou d’autres faits ayant émaillés cette guerre. Le général Aussaresses a voulu parler pour se mettre en valeur. C’était une personnalité complexe qui aimait l’écho autour de lui."

Cependant, en justifiant l’injustifiable, Paul Aussaresses a levé un tabou. "Il a été honnête. Il a reconnu avoir torturé des Algériens (...) mais il n'est pas allé jusqu'au bout. Il aurait dû exprimer ses regrets", a déclaré mercredi à l’AFP Louisette Ighilahriz, ex-militante du Front de libération nationale (FLN), torturée en 1957 par des militaires français de la 10e division parachutiste, sur le commandement du général Bigeard à Alger. "Aussaresses reconnaît sans regret et Bigeard nie totalement les méfaits du colonialisme, entre ces deux là, il y a toujours le pire, ils sont tous pires, a-t-elle précisé dans le quotidien algérien "El Watan".

Outre la levée d'un voile sur l'Histoire, les révélations du général borgne ont permis "à un grand nombre de Français de prendre leur distance par rapport à l’argument de la nécessité de la torture", insiste Gilles Manceron. Si aujourd’hui le déni de la torture existe toujours, "il ne s’exprime plus de la même manière". Beaucoup reconnaissent son existence mais avancent les actes commis par le FLN pour nuancer la gravité des faits, explique l'historien. "Toute torture doit être établie et dénoncée mais en gardant la juste proportion des faits".