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Suthep Thaugsuban, l'homme qui voulait faire tomber la "thaksinocratie"

À la tête de la fronde contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, Suthep Thaugsuban, ancien vice-Premier ministre, traîne une double réputation, celle d’un "chevalier blanc" et celle d’un politique arrogant et corrompu. Portrait.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il déchaîne les passions. Suthep Thaugsuban, le leader de l’opposition thaïlandaise, dont le visage et les harangues enflammées hantent depuis plusieurs semaines les rues de Bangkok, est un animal politique qui ne laisse personne indifférent.

Il faut dire que ce vétéran de la politique thaïe, ancien membre du Parti démocrate, qu'il a quitté pour se consacrer pleinement à la fronde anti-gouvernementale, ne fait rien pour rester discret.

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Trêve entre les "jaunes" et les "rouges"
Suthep Thaugsuban, l'homme qui voulait faire tomber la "thaksinocratie"

Depuis la mi-novembre, il mène avec exaltation l’opposition thaïlandaise partie en croisade contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra - la sœur de l’ancien dirigeant Thaksin, poussé à l’exil après un coup d’État en 2006. Et dans sa lutte contre le clan des "Thaksin", accusé d’avoir "détruit le système démocratique thaïlandais", rien ne semble l’arrêter. Pas même la perspective d’un possible bain de sang entre les "chemises rouges" pro-gouvernement et les "chemises jaunes", du camp adverse.

"C’est un personnage jusque-boutiste, qui n’est pas dans le compromis, qui ne recule devant rien. Il impressionne pour ça. Il semble n’avoir peur de rien", analyse Cyril Payen, le correspondant de FRANCE 24 à Bangkok. Du haut de sa soixantaine d’années, le vieux lion de l’opposition, issu d’une riche famille de propriétaires terriens, répète en effet qu’il ne partira pas avant d’avoir atteint son objectif : se débarrasser du clan Shinawatra, qu’il nomme la "thaksinocratie" - même s’il jure que cela "n’a rien de personnel".

Suthep, un "révolutionnaire appelant aux barricades"

Pour parvenir à ses fins, Suthep Thaugsuban s’est révélé être un fin stratège en communication. Ce pur produit du sud monarchiste, qui se présente comme le nouveau porte-voix des "jaunes" - issus des classes aisées et ultra-monarchistes - multiplie les provocations. Il n’hésite pas à appeler ses troupes à l’occupation des bâtiments officiels, pousse les Thaïlandais à la grève générale. "Il cherche à provoquer une réaction violente de la police qui forcerait ensuite une intervention de l'armée, et disqualifierait Yingluck", explique Thitinan Pongsudhirak, professeur à la prestigieuse université Chulalongkorn, à Bangkok.

Et la stratégie fonctionne. Qu’importe si ses prédictions sur la chute du gouvernement "en trois jours" ne se sont pas réalisées, Suthep joue à merveille la carte du "révolutionnaire appelant aux barricades", selon l’expression du "Figaro". Ses partisans y croient. Ses troupes - survoltées à la moindre de ses apparitions – lui obéissent au doigt et à l’oeil. Elles l’ont d’ailleurs hissé au rang de héros national. Dans les rues de la capitale thaïlandaise, sa crinière poivre et sel est omniprésente : grimée sur les voitures, placardée sur les murs, arborée sur des tee-shirts, retransmise sur les télévisions. Sur Facebook, il peut se vanter d’avoir dépassé les 500 000 fans. Suthep Thaugsuban est une icône.

Mais comme toute icône, il traîne également derrière lui un nombre considérable de détracteurs. Car Suthep Thaugsuban, ce défenseur des élites de Bangkok, "n’est pas vraiment le chevalier blanc qu’il espère faire croire. C’est un personnage très controversé au passé trouble", précise Cyril Payen.

Un meneur pas si fréquentable ?

Ses adversaires politiques l’accusent tout d’abord d’avoir du sang sur les mains. Sur le site "Asia Sentinel", l’universitaire Pavin Chachavalpongpun rappelle qu’il avait lancé en 2010 - alors qu’il était vice-Premier ministre - la répression contre les "chemises rouges" pro-Thaksin, faisant 90 morts et 2000 blessés dans la capitale thaïlandaise. "Il tente de se refaire une notoriété en passant de ‘voyou’ à ‘héros’", écrit l’universitaire dans une diatribe virulente à son égard.

Son ascension politique n’est pas non plus irréprochable. Il est "un peu mafieux et plus qu’un peu corrompu [….] À ses débuts, il a mis en place un puissant réseau clientéliste. Il s’est enrichi grâce à ses liens avec les notables du sud du pays", rappelle Arnaud Dubus, spécialiste de l'Asie à France culture. Un portrait peu flatteur pour celui qui se veut le promoteur de la démocratie. "Cette figure du Parti démocrate a trempé dans les années 1990 dans de nombreuses affaires de malversations" et d’acquisition illégale de terrains, raconte aussi le correspondant de FRANCE 24. Suthep Thaugsuban est également, depuis le 2 décembre, sous le coup d’un mandat d'arrêt pour avoir incité les militants de l'opposition à prendre le contrôle des ministères. Arrogant, il a déclaré qu’il "était trop occupé" en ce moment pour se rendre aux autorités.

Reste à savoir comment ce personnage haut en couleurs sortira de ce combat politique. Car le succès des "jaunes" n’est pas garanti. D’une part, la démobilisation guette - ils sont de moins en moins nombreux à se rassembler à Democracy Monument, épicentre de la contestation. Et puis, encore faudrait-il que Suthep Thaugsuban ait une marge de manœuvre suffisante pour s’imposer sur l’échiquier politique du pays. "Il est toujours l’homme des basses œuvre du Parti démocrate", rappelle Arnaud Dubus. Un point de vue partagé par Cyril Payen. "Il ne s’est pas vraiment affranchi des caciques de son parti. Il est lui-même instrumentalisé. Il n’a ni la carrure ni les moyens financiers de se hisser seul au sommet du pouvoir", analyse le journaliste de FRANCE 24. Pour un homme politique qui est en train de jouer son va-tout, la chute pourrait être particulièrement brutale.