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New York : le temple du graffiti "javellisé" en une nuit

À quelques mois de sa démolition, le 5 Pointz à New York, la mecque du street art, a été repeint par son propriétaire. Une action qui a provoqué la colère des artistes qui ont rendu ce lieu célèbre et qui se battent encore pour le sauver.

“Five Pointz n’est plus, il a été repeint en blanc la nuit dernière par son propriétaire et sous la protection de la police”. C’est par ces quelques mots que le comité de défense de 5 Pointz, une ancienne usine transformée en lieu d’exposition en plein air, a annoncé, mardi 19 novembre sur son compte Twitter, que les centaines d’œuvres de street art visibles sur les murs avaient disparu sous une couche de peinture. 

Très vite, des dizaines d’artistes se sont rassemblés près de ce bâtiment situé dans le quartier du Queens, à New York, pour exprimer leur profonde déception. "C’est la plus grande insulte faite à l’histoire du graffiti. Il a peint sur le travail d’au moins 1 500 artistes", s’est emporté en larmes, auprès du "New York Times", Marie Flagueul, l’une des portes paroles de 5 Pointz. "J’ai le cœur déchiré. Ce n’est pas juste à propos des graffitis. Les gens sont venus des quatre coins du monde pour se rassembler ici. C’est ce qui fait le plus mal", se désole également un artiste qui se présente sous le nom de Just.

Un musée à ciel ouvert livré aux promoteurs

Surnommé les "Nations unies du graffiti", 5 Pointz est devenu en l’espace d’une vingtaine d’années le rendez-vous incontournable des amateurs de street art. Le propriétaire, Jerry Wolkoff, qui avait racheté cette ancienne usine de compteur d’eau au début des années 90, louait cet espace à des artistes d’horizons divers. Il les a même autorisés à exprimer leur talent sur les murs, dans le cadre d'un programme appelé "Graffiti Terminators", imaginé pour décourager les tags sauvages.

Mais le propriétaire a été rattrapé par l’appât du gain et a décidé, il y a quelques mois, de transformer le lieu en un complexe immobilier, estimé à 400 millions de dollars, et comprenant 1 000 appartements de standing. Son projet, approuvé en octobre dernier par les autorités locales, a provoqué une vague d’indignation. Les artistes en résidence ont tenté de sauver ce bâtiment vénéré par les taggeurs du monde entier, mais ils ont été déboutés le 12 novembre par un juge new-yorkais qui a donné son feu vert pour sa démolition.

Alors que les premiers coups de bulldozer sont attendus pour janvier 2014, le propriétaire a jugé en début de semaine qu’il était "moins douloureux" de repeindre le bâtiment à l’approche de cette échéance. "J’imaginais la torture pour tout le monde, de procéder pièce par pièce. Je me suis donc dit ‘faisons le en une fois et mettons un terme à cette torture une fois pour toute", a expliqué Jerry Wolkoff sur la chaîne NBC New York, au lendemain de son opération peinture blanche. 

Pour sa défense, ce promoteur a également expliqué que le travail des artistes était d’ailleurs par essence "éphémère". Pour tenter de les calmer, il a aussi assuré qu’il "les laissera revenir dans le nouveau bâtiment" et que certains murs seront dédiés à leur libre expression.

5 Pointz ne veut pas disparaître sans un dernier combat

Mais les graffeurs de 5 Pointz, qui ont encore un bail jusqu'en janvier prochain, n’ont peut-être pas dit leur dernier mot. Comme ils l’ont annoncé sur leur page Facebook samedi dernier après une nouvelle manifestation : "Ce n’est pas fini tant que nous ne l’avons pas décidé".

Ironie de l'histoire, ces artistes peuvent compter sur le soutien du magistrat qui les a déboutés. Grand admirateur de 5 Pointz, le juge Frederick Block a exprimé sa frustration, tout en expliquant qu'il ne faisait qu'appliquer la loi. Il a toutefois conseillé aux défenseurs du lieu de déposer une nouvelle demande de reconnaissance auprès de la commission de préservation des sites historiques (landmark preservation commission). Leur premier dossier a été rejeté car ce comité ne reconnaît que les créations qui ont plus de 30 ans. Mais ils espèrent obtenir l'appui du nouveau maire Bill de Blasio.

Le responsable de 5 Pointz, Jonathan Cohen, plus connu sous le nom de "Meres One", a également annoncé qu’il s’enchaînerait à l’immeuble lorsque les bulldozers arriveront. La construction du complexe de Jerry Wolkoff risque d’être bel et bien retardée. L'art est un éternel recommencement. De nouveaux "tags" sont déjà apparus sur la peinture blanche au cours des dernières heures.