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Victor "Young" Perez : "Nous ne devons pas reproduire les erreurs de nos aînés"

Victor Perez a marqué l'histoire de la boxe en devenant le plus jeune champion du monde des poids mouches en 1931. L'ex-boxeur Brahim Asloum redonne vie à ce juif tunisien depuis ses débuts dans de modestes clubs de Tunis jusqu'à Auschwitz.

En octobre 1931, dans les rues de la capitale française, un seul nom est sur toutes les lèvres : celui de Victor "Young" Perez. Le Tout-Paris se l’arrache. À tout juste 20 ans, ce jeune boxeur tunisien fait parler de lui dans tous les journaux et a ses entrées dans toutes les fêtes. Il vient de remporter le titre de champion du monde des poids mouches face à la superstar américaine Frank Genaro. Quatre-vingt ans plus tard, ces exploits sont tombés dans l’oubli. Qui se souvient des 136 combats (91 victoires dont 27 par KO) de ce sportif juif et de sa fin tragique en 1945 lors des "marches de la mort", après l’évacuation du camp d’Auschwitz ?

"C’est une histoire qui est malheureusement méconnue. Le monde de la boxe connaît ce champion à travers son palmarès, mais il a été oublié après sa déportation dans les camps", souligne ainsi Brahim Asloum, interprète du rôle-titre dans le premier film consacré à Victor "Young" Perez , qui sort sur les écrans mercredi 20 novembre. Le champion olympique (2000 à Sydney) et du monde (2007) ne s’est pas fait prier pour endosser les gants de son illustre aîné. L’ombre du boxeur tunisien a en effet plané sur toute la carrière du jeune français : "J’ai découvert son histoire en 1996, lors de mes débuts. Il y avait une plaque commémorative qui venait d’être installée à l’Insep. Je passais tous les jours devant et je me suis intéressé à lui. On a tous les deux eu une ascension fulgurante. Il a été un très jeune champion du monde et moi j’ai été champion olympique à 21 ans".

"Il volait de la soupe pour les autres déportés"

Dans ce long-métrage, le réalisateur, Jacques Ouaniche, dépeint l’incroyable parcours de Victor "Young" Perez, depuis ses débuts dans de modestes clubs de Tunis jusqu’aux plus prestigieux rings du monde. Le boxeur reçoit tous les honneurs et s’enrichit aussi rapidement que ses coups de poing terrassent ses adversaires. Mais la grande histoire finit par le faire vaciller. Enivré par le succès et par l’intense amour qu’il porte à la plus grande actrice de l’époque, Mireille Balin, il ne se doute pas de la menace qui rôde et de la montée de l’antisémitisme. En septembre 1943, ce juif tunisien est arrêté par la Gestapo, puis conduit vers le camp d’Auschwitz.

Loin des salles de sport et dans l’enfer du système concentrationnaire, le champion se transforme alors en héros. "Il a été reconnu par le chef du camp qui était fan de boxe, mais qui avait du mal à accepter qu’un juif ait pu faire une telle carrière. Il lui a fait faire des combats contre des Aryens qui pesaient 30 à 40 kilos de plus que lui", raconte Brahim Asloum, qui a longuement parlé avec Noah Klinger, un ancien déporté, ami de Victor "Young" Perez dans ce camp de la mort. "Il l’a aussi fait travailler en cuisine. Victor y volait de la soupe pour donner aux autres déportés. Il prenait des risques car il s’est fait attraper et rouer de coups, mais cela ne l’empêchait pas de recommencer".

"À l’époque, c’était un Victor Perez, aujourd’hui, cela peut être un Brahim Asloum"

À force de vouloir montrer l'horreur de la déportation, ce biopic romance parfois grossièrement la vérité et fait appel à beaucoup de sentimentalisme. Contrairement au scénario, Benjamin, le frère aîné de Victor, ne l'a jamais rejoint à Auschwitz et épaulé lors de ses combats contre les Allemands.  La mort du boxeur est également réécrite. En janvier 1945, Victor "Young" Perez, très affaibli, est abattu sommairement sur une route gelée de Silésie après l'évacuation du camp, alors que dans le film, il se sacrifie pour que son frère puisse s'enfuir. Quelques arrangements avec la réalité qui ne choquent pas Brahim Asloum. Pour lui, ce long-métrage est avant tout une leçon de vie : "Ce n’est pas un film sur la Shoah. Le but, c’est de retracer l’histoire d’un homme qui a une vie de champion du monde, qui a eu une romance avec la plus belle femme de l’époque et qui est malheureusement rattrapé par l’histoire. Il aurait pu rentrer à Tunis, mais il a voulu rester à Paris car il était persuadé de reconquérir le cœur de sa belle. Il a fait ces choix par amour".

Des pages sombres du passé qui résonnent encore soixante-dix ans plus tard. Français de confession musulmane, Brahim Asloum, âgé de 34 ans, se sent proche de ce juif tunisien. "Nous, la nouvelle génération, nous ne devons pas reproduire les erreurs de nos aînés. Ce film tombe au bon moment quand je vois la montée des extrêmes en Europe. Il ne faut pas oublier que la bête existe toujours et qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire repartir la machine", estime l’ex-boxeur. "Aujourd’hui ce sont les musulmans qui sont persécutés. Il faut faire attention. C’est un devoir de mémoire. À l’époque, c’était un Victor Perez, aujourd’hui, cela peut être un Brahim Asloum". Pour sa première expérience au cinéma, le retraité des rings, devenu acteur et consultant pour plusieurs médias, frappe fort. En un coup d’essai, il a sorti un immense champion des oubliettes de l’histoire : "C’est mon copain. J’aurais toujours une pensée pour Victor".