Les États-Unis ont officiellement placé mercredi le groupe islamiste nigérian Boko Haram sur leur liste noire des organisations terroristes. Certains craignent que cette décision renforce le prestige du groupe et empêche le dialogue.
C’est avec une certaine perplexité qu’a été accueillie, mercredi 13 novembre, l’annonce du département d’État américain désignant officiellement Boko Haram comme organisation terroriste. Ces dernières années, le groupe islamiste nigérian a été tenu pour responsable de plusieurs attaques dans le nord-est du Nigeria, contre des écoles, des églises, des banques et des bâtiments officiels, qui ont tué des milliers de personnes. L'organisation qui a revendiqué le rapt du père Georges Vandenbeusch, le 14 novembre dans le nord du Cameroun, est la même qui a enlevé, en février 2013, les Moulin-Fournier, une famille française relâchée quelques mois plus tard.
Selon des diplomates et des experts occidentaux, Boko Haram serait lié à al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Fondé en 2002 à Maiduguri, un village du nord-est du Nigeria, Boko Haram, qui signifie dans le dialecte local "l’éducation occidentale est un sacrilège", a pour but d’établir la Charia, la loi coranique, dans tout le Nigeria, nation multiethnique de plus 160 millions d’habitants. Le nord du pays est majoritairement peuplé de musulmans tandis que chrétiens et animistes se partagent le Sud. Depuis longtemps, des experts s’inquiètent que des extrémistes islamistes puissent un jour mettre le feu à cette poudrière communautaire en puissance. Traqués par l’armée nigériane, les rebelles ont dû traverser la frontière vers le Cameroun.
Surnommé "le chef de la terreur qui est revenu d’entre les morts", le leader de Boko Haram, Abubaker Shekau de son vrai nom, est déjà apparu à plusieurs reprises dans des enregistrements vidéo. Arborant invariablement tenue de camouflage, keffieh sur la tête et flanqué de deux fusils d’assaut, il a mis en garde le président nigérian Goodluck Jonathan, Barack Obama ou encore François Hollande.
Geler les avoirs de Boko Haram aux États-Unis… Mais le groupe en a-t-il ?
Pourquoi donc a-t-il fallu tant de temps et de morts aux États-Unis pour appeler un chat un chat ? Depuis août 2011 et l’attentat contre les bureaux des Nations Unies à Abujda qui a fait 21 morts, les députés américains œuvraient déjà en ce sens. En plaçant Boko Haram sur sa liste des organisations terroristes, la Maison Blanche n’a pas manqué de souligner qu’ "en gelant les avoir financiers du groupe aux États-Unis, cette désignation officielle montrait bien le soutien des États-Unis au Nigeria, dans sa lutte contre le terrorisme".
Reste que Boko Haram ne semble pas jouir d’avoirs connus aux États-Unis. Interrogé à ce propos, un membre de l’administration américaine n’a pas pu donner de détails à ce sujet et à renvoyé vers le département du Trésor. De son côté, Sehu Sani, président du Congrès des droits civils du Nigeria et défenseur des droits de l’Homme, ironise auprès de FRANCE 24 : "Je ne connais aucun groupe de genre qui aurait des milliards de dollars dans des banques à l’étranger. Je connais toutefois des hommes politiques nigérians qui arnaquent le pays à coup de contrats douteux."
De fait, on ne sait que très peu de choses des finances de ces groupes djihadistes régionaux. Selon nombre d’experts, le butin de braquages de banques au Nigeria pourrait être la principale source de financement de Boko Haram. "La plupart des membres des services de renseignements que j’ai pu rencontrer pensent que l’argent de Boko Haram se trouve dans les banques nigérianes et attend juste d’être volé", a ainsi tweeté Brandon Kendhammer, professeur de science politique à l’université de l’Ohio.
Les intérêts américains menacés ?
Toujours est-il que, de leur côté, les autorités nigérianes ont fait bon accueil à la décision américaine. Le général Chris Olukolade, porte-parole de la Défense, a ainsi déclaré qu’il "semble que les autorités américaines comprennent maintenant la réalité des défis auxquels nous devons faire face avec Boko Haram". Pour lui, ce geste est à même de renforcer "la coopération dans la lutte contre le terrorisme".
Mais l’ancien ambassadeur américain au Nigeria John Campbell est plus sceptique. Dans un blog publié par le site du Council of Foreign Relations, il craint que "cela ne contribue à renforcer le prestige de Boko Haram". Il y a plus d’un mois déjà, John Campbell avait mis en garde contre le fait que des intérêts américains "pourraient devenir des cibles pour Boko Haram", si les gouvernements américains et nigérians décidaient de s’unir dans "une lutte commune contre le terrorisme". "Boko Haram semble principalement focalisé sur les questions nigérianes et non sur le djihad international", observe-t-il encore dans une tribune publiée sur le site de CNN .
L’ambassadeur nigérian aux États-Unis, Adebowale Adefuye, a également tenté de s’opposer à cette classification. Suite à une entrevue à Washington en mai 2012 entre des officels américains et nigérians, le diplomate avait déclaré à la presse que son gouvernement était opposé à la désignation de Boko Haram comme organisation terroriste, assurant alors que les autorités de son pays étaient seules capable de "contenir la menace de Boko Haram", de la même manière qu’elles avaient réussi à étouffer la contestation dans la région pétrolifère du Delta du Nil.
La fin du dialogue ?
Les opinions des diplomates de ces deux pays semblent aujourd’hui avoir été ignorées. Et désigner Boko Haram comme organisation terroriste pourrait également risquer d’accentuer la menace sur le pays d’Afrique le plus peuplé et le plus productif en pétrole.
Shehu Sani est bien conscient de ce risque. Il estime que cette désignation "ne sert que les intérêts américains sans résoudre le problème", insistant sur le fait qu’il s’agit d’un problème local à résoudre à échelle locale. En 2011, il a servi de médiateur lors des pourparlers entre le gouvernement et Boko Haram visant à trouver une solution au problème. Mais les négociations se sont soldées par un échec en raison, selon lui, du manque de volonté politique de l’administration de Goodluck Jonathan.
Ardent partisan du dialogue avec Boko Haram, Shehu Sani est aujourd’hui un homme résigné. "On ne peut pas dialoguer avec un groupe considéré comme hors la loi, estime-t-il, joint au téléphone par FRANCE 24. On ne peut pas dialoguer avec un chef rebelle dont la tête est mise à prix. On ne peut pas dialoguer avec un groupe désigné comme organisation terroriste."
Adapté par Amara MAKHOUL-YATIM