Révolution pour le communisme chinois : le Comité central du Parti communiste a annoncé que le marché joue "un rôle décisif" dans l’économie du pays. Une révolution sémantique qui attend, cependant, encore de se traduire dans les faits.
C’est une petite phrase pour le Comité central du Parti communiste chinois, mais un grand bond pour le pays ? Dans son communiqué qui annonce les conclusions de la troisième réunion annuelle du XIIIe Comité central, qui s’est achevé mardi 12 novembre, les 370 responsables chinois les plus influents du pays ont, pour la première fois, reconnu que “le marché est appelé à jouer un rôle décisif dans l’économie chinoise”. Auparavant, le parti ne reconnaissait aux forces du marché qu’un rôle “basique”.
“C’est avant tout un message destiné aux observateurs extérieurs et aux autres factions du parti pour indiquer que l’équipe dirigée par le président Xi Jinping a réellement une volonté réformiste”, assure à FRANCE 24 Jean-François Dufour, spécialiste de l’économie chinoise et président fondateur du cabinet d’étude DCA China Analyse.
Pour cet expert, malgré la rhétorique utilisée, cette réunion ne va pas propulser du jour au lendemain la Chine dans la cour des nations vouées corps et âmes à l’économie de marché. “C’était essentiellement pour l’équipe dirigeante un test afin de se rendre compte de la force de l’opposition aux réformes au sein des instances du pays”, estime Jean-François Dufour.
Des réformes qui font pshitt ?
Du coup, ce grand raout des puissants du pays n’a, à ces yeux, accouché que de souris. “Les déclarations ont l’air importantes, mais il n’y a pas grand chose de concret qui pourrait, à court terme, transformer le pays”, souligne-t-il.
Illustration de cette ambiguïté : le Parti communiste a, certes, annoncé qu’il pourrait y avoir à l’avenir une plus grande liberté dans la fixation des prix dans des domaines considérés comme stratégiques tels que l’énergie, les télécommunications ou les transports. Mais “le document indique que l’État va continuer à tenir les rênes de l’économie”, note le quotidien britannique "Financial Times"
Jean-François Dufour relève un autre exemple de réforme qui risque de faire pschitt. “Des ‘fuites’ dans la presse pendant la réunion ont fait état de la volonté du parti d’ouvrir davantage le capital des grands groupes aux investisseurs étrangers, ce qui, sur le papier, peut sembler important”, note-t-il. Pourtant, cette “ouverture” ne pourra concerner que 15 % du capital au maximum. En clair, l’État conservera, dans tous les cas, le contrôle de ces groupes.
Les banques laissées tranquilles
L’aspect le plus concret de cette réunion concerne, en fait, les exploitants de terres agricoles. Le parti indique, dans son communiqué, que “les fermiers doivent pouvoir jouir des fruits de la modernisation de l’économie”. Une phrase qui signifierait, pour la plupart des observateurs, qu’ils pourront à l’avenir revendre leur terre. “Il y a tout un enjeu actuellement autour de la question de la propriété des terres qui sont souvent saisies par les autorités locales afin de financer leurs projets d’infrastructures”, rappelle Jean-François Dufour. Xi Jinping semble, donc, bien décidé à renforcer la sécurité financière des paysans et attaquer de fronts ces dirigeants locaux qui délogent les paysans au gré de leurs investissements.
Mais le fait que cette question des terres ressortent comme l’un des principaux points de ce congrès prouvent bien que sa portée est plus limitée que ce que laisse penser la phrase sur le rôle “central” de l’économie de marché. Il n’arrive, en tout cas, pas à la cheville des congrès en 1979, durant lequel Deng Xiaoping a mis un terme officiel à la “révolution culturelle” et en 1993 qui ont mis en place le cadre des réformes ayant permis à la Chine d’entrer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001.
La principale déception de ce congrès serait, d’après Jean-François Dufour, qu’il ne s’attaque pas aux dysfonctionnements du système bancaire chinois. “Avant la réunion, on s’attendait à ce que Pékin permette aux banques de fixer plus librement leur taux d’intérêt”, souligne-t-il. Cela peut paraître anecdotique, mais dans le système actuel, les institutions financières du pays sont essentiellement des machines à financer les projets des entreprises chinoises sans égard à leur viabilité.
Leur lâcher un peu la bride aurait pu permettre aux banques “d’imposer, par exemple, des taux d’intérêt plus élevés pour des projets jugés économiquement risqués”, explique Jean-François Dufour. Mais, pour l’heure, il semblerait que Pékin n’a pas envie de toucher à cet état de fait qui fait des banques de simple chambre d’enregistrement. Autant pour l’aspect “rôle décisif de l’économie de marché” sur ce point...