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Armes chimiques : "La France n'a pas su les détruire, comment la Syrie ferait-elle ?"

Alors que la Syrie s'est engagée à détruire son stock d'armes chimiques, les commémorations de la Première Guerre mondiale font ressurgir le sujet en France. Cent ans après, 230 tonnes de munitions n'ont pas encore été traitées dans l'hexagone.

La "sale guerre" porte bien son surnom. Alors que les commémorations autour du centenaire de la Première Guerre mondiale viennent de débuter, le conflit continue de polluer le sol de France. Chaque année, d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, 10 à 20 tonnes de munitions chimiques sont encore ramassées sur les champs de bataille dans le nord et l’est du pays. "Sous les effets du gel successifs, ces obus enfouis dans le sol ont tendance à remonter assez régulièrement à la surface. On en retrouve sous les charrues des agriculteurs ou sont parfois même retrouvés par des promeneurs", décrit à FRANCE 24 Olivier Lepick, docteur en Histoire et Politiques Internationales de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève, qui a consacré sa thèse à l’arsenal chimique pendant la "Der des Der".

Gaz moutarde et pétardement

Ces armes chimiques sont apparues pour la première fois lors de la deuxième année du conflit. Le 22 avril 1915, l’armée allemande utilise près du village de Langemark, dans les Flandres belges, des bouteilles remplies de 180 tonnes de chlore liquide. Une fois ouvertes, elles libèrent un nuage toxique qui se dirige vers les lignes françaises et britanniques. L’effet du chlore est immédiat et provoque entre 2 000 et 5 000 morts et jusqu’à 10 000 blessés. Durant les trois années suivantes, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, pour l’essentiel, développent leur arsenal à l’aide de bromure, de chlore, d’arsine ou encore d’ypérite. Le gaz moutarde, de triste mémoire, fait alors son entrée dans l’histoire collective. "On peut estimer que la consommation d’armes chimiques sur le front a commencé a 3 500 tonnes en 1915, pour s’élever à 15 000 tonnes en 1916, 35 000 tonnes en 1917 et enfin 59 000 tonnes en 1918. Ce sont des quantités importantes et croissantes au fil de la guerre, et des armes de plus en plus élaborées", explique Olivier Lepick.

Au sortir de la guerre, cette course à l’armement chimique laisse des traces. Parmi les centaines de millions d’obus tirés durant les combats, près de 10 à 15 % d’entre eux n’ont pas "détonés". Pour s’en débarrasser, la France procède dans les années 1920 à des explosions ou à des incinérations sans véritable précaution. Jusque en 1994, les autorités utilisent ensuite des "pétardements" en Baie de Somme : "On faisait un grand trou à marée basse, on mettait 80% d’obus conventionnels et 20% de chimiques, on attendait que la marée remonte et on faisait tout exploser". Mais sous la pression des écologistes et après le classement du site en zone protégée, cette pratique a été abandonnée.

"Un pied de nez de l’histoire"

Depuis, les armes retrouvées sont stockées sur un unique site dans la base militaire de Suippes, dans la Marne. La direction générale de l’armement a accumulé à ce jour 230 tonnes de munitions chimiques non traitées datant de la Première Guerre mondiale. Pour Olivier Lepick, cette situation s’avère assez "cocasse" au regard de l’actualité. "C’est un pied de nez de l’histoire. Au moment du centenaire, on a un retour des armes chimiques sur la scène internationale, alors qu’en France, il y en a qui n’ont toujours pas été détruites et qui datent de quasiment un siècle", souligne-t-il en faisant référence à l’engagement de la Syrie à se débarrasser de son arsenal chimique sous la pression de la communauté internationale.

Cet immense retard pris par la France montre d’ailleurs qu’il sera bien difficile de respecter dans les temps le programme prévoyant le désarmement chimique de la Syrie d’ici mi-2014  – soit 1 000 tonnes d'agents chimiques et 290 tonnes d'armes chimiques déclarées par Damas. "La France n’a pas été capable de le faire, je ne vois pas comment la Syrie pourrait le faire, sauf à penser qu’elle sen débarrasse de manière différente ou peu écologique, soit en déversant ça dans la Méditerranée ou dans le désert", constate avec ironie Olivier Lepick. "Mettre des étiquettes et visiter des usines c’est facile, mais se débarrasser d’un obus rempli de sarin, ça ne se fait pas en cinq minutes, cela va être beaucoup plus compliqué".

Pour preuve, la France vient seulement de débuter la construction de sa future usine de démantèlement des anciennes armes chimiques. Cent ans après, les obus tombés sur le front vont enfin faire l’objet d’un traitement au sein d’un bunker high-tech, entièrement dédié à cet effet, sur la zone militaire de Mailly-le-Camp, dans l’Aube. Dans cette usine automatisée "la destruction s’effectuera dans une chambre de détonation étanche et blindée pour contenir les effets mécaniques et chimiques de l’explosion". Ce projet appelé Secoia (site d'élimination des chargements d'objets identifiés anciens) doit entrer en service en 2016.